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En jeu de rôle, les joueurs sont généralement confrontés à des choix amenés par la situation. Selon le type d’enjeux qui priment, différents types de choix seront privilégiés.

Note : dans les points ci-dessous, quand je parle de MJ, il peut s’agir de MJ traditionnel, ou d’un ou plusieurs participants qui endossent une partie du rôle du MJ.

Le choix prévu

Le MJ propose une épreuve dont il prévoit la ou les solutions admissibles. Les autres idées ne sont pas acceptables.

C’est le cas des énigmes, selon moi, ce procédé pose un problème important : il demande aux joueurs de trouver ce que le MJ a en tête, ce qui signifie que le MJ doit toujours choisir des solutions que les joueurs pourraient trouver, mais pas trop facilement !

Dès que les solutions sont trop difficiles à trouver, les joueurs pataugent et le risque d’ennui n’est pas négligeable. Si les joueurs trouvent les solutions trop facilement, les épreuves n’ont pas vraiment d’intérêt.

Je pense qu’aucun jeu social n’a intérêt à proposer ce type de choix, pour la simple et bonne raison que les énigmes et les casse-tête sont des activités solitaires et que se réunir pour un temps limité n’a pas d’intérêt si c’est pour cogiter longtemps dans le but de trouver la solution.

Il n’y a pas pire sabotage du rythme d’une partie qu’un choix dont les joueurs ne trouvent pas la bonne solution après moult tentatives.

Le choix adapté

Le MJ propose une épreuve dont il ne prévoit pas les solutions admissibles. Il peut en prévoir, mais accepte celles qu’inventent les joueurs dès lors qu’il les juge adaptées.

Ce principe est très proche du « choix prévu », mais se distingue par le fait qu’il donne sa place à la créativité des joueurs. Le MJ se place en position de juge de la pertinence et de la qualité des propositions des joueurs.

De cette manière, on évite le problème du « choix prévu » du fait que plusieurs solutions sont possibles, cela peut inciter les joueurs à rivaliser d’inventivité pour surmonter les épreuve, si le MJ n’est pas trop exigeant ou trop accommodant (ce qui reste moins problématique de manière générale).

Il faut entretenir une parfaite confiance entre joueurs et MJ, afin d’éviter qu’un jugement soit considéré arbitraire et injuste. Permettre aux joueurs d’envisager les solutions possibles est un bon moyen de déjouer ce risque.

Vous pouvez également moduler votre niveau d’exigence de façon progressive au fil de la partie de façon à éviter que tout ne paraisse trop simple ou trop difficile : les premières épreuves seront très simples, vous accepter n’importe quoi de cohérent et les dernières très difficiles, vous n’acceptez que des idées inventives.

Le choix optimisé

Le joueur doit gérer les ressources à sa disposition afin d’optimiser ses chances de succès concernant une épreuve, voire la réussite de son objectif sur le long terme.

Ce choix que l’on peut aussi appeler choix tactique me paraît fonctionner d’autant mieux qu’il est cadré par les règles du jeu plutôt que par le jugement d’un participant. Par exemple, si le joueur sait que se mettre à couvert lui offre un bonus défensif, il sera tenté d’exploiter cette ressource dès que possible, tant qu’elle n’interfère pas avec son idée principale.

Le fait de laisser le MJ juger peut parfois donner un sentiment d’arbitraire et donc d’injustice et cela demande au MJ d’avantager ses adversaires pendant un affrontement. Si c’est le système de jeu qui encadre ce genre de choix, soit le meilleur choix devra être bon pour la dynamique du jeu (voir un jeu comme Poison’d de Vincent Baker) de manière à inciter les joueurs à le faire souvent, soit les choix possibles et leurs combinaisons (s’il en est) doivent tous se contrebalancer de façon à ce qu’aucun ne soit toujours meilleur ou moins bon que les autres, mais plutôt que leur utilité varie selon la situation.

Le choix formel

Dans une situation donnée, le joueur connaît les codes selon lesquels les choses doivent suivre leur cours. Il a la liberté de dire comment ce qui doit être est, voire, d’enrichir le champ de ce qui paraît acceptable.

Le choix formel n’est pas tant un choix influant sur les événements de l’histoire jouée que sur l’épaisseur de la fiction. Le but est d’apporter plus de Couleur, de renforcer la cohérence, la capacité de la fiction de nous faire vivre un rêve éveillé.

Le choix formel est généralement le choix principal des joueurs pour la situation. S’il est cumulé à d’autres types de choix, il sera bien plus secondaire, mais ne devrait pas constituer le point de focalisation des participants. Juste une plus-value.

Quand les joueurs n’ont pas en main les clés nécessaires à leur liberté créative, il arrive que le MJ doive corriger leurs choix, ce qui tend à déposséder les joueurs de leurs personnages et à saper leur liberté créative.

Le choix ouvert

Le MJ oppose une épreuve sans décider à l’avance des solutions possibles et en faisant en sorte que toutes les réponses que pourra apporter le joueur développe l’histoire de manière satisfaisante.

Le dilemme est une forme de choix ouvert, mais dès que ce qui compte dans un choix, c’est de voir quelles conséquences vont en résulter, on est dans un choix ouvert. Le dilemme se pose quand aucune des possibilités offertes ne semble valoir mieux que l’autre aux yeux du joueur.

Le choix ouvert signifie qu’il n’y a pas de bonnes et de mauvaises solutions, simplement, ce choix doit poser une question au joueur : « préfères-tu sacrifier ton meilleur ami ou mourir ? », « préfères-tu être traîné dans la boue ou perdre un bras ? », « préfères-tu trahir ton camp pour le protéger ou respecter tes valeurs quitte à le condamner ? » etc.

Toutes les réponses que donnera le joueur seront acceptables et l’histoire se poursuivra jusqu’à ce que toutes les questions posées aient trouvé une réponse.

Des choix ouverts nécessitent de manier l’improvisation, de façon à faire évoluer la situation en fonction des choix des joueurs (et non pas en prévoyant son déroulement à l’avance) afin de rendre les conséquences de leurs choix possibles quels que soient les choix effectués et de construire l’histoire autour.

Le MJ peut en préparer avant la partie ou les participants peuvent les construire pendant la partie. Dans le deuxième cas, il faut que la préparation des personnages, leurs objectifs, leurs convictions, leurs relations présentent des points d’achoppements, ou bien qu’elles offrent à un tiers participant de facilement dresser des choix ouverts.

Le système de jeu peut lui-même produire de ces choix (cf. Dogs in the vineyard, où le système de Conflits propose souvent : abandonner le Conflit ou utiliser la violence?).

Le choix ouvert peut tout simplement conclure une partie composée tout du long de choix autres, ce qui signifie que les fins possibles seront libres ; parfois le nombre de fins possibles étant limitées, le MJ peut envisager les conséquences possibles, mais cela devient ardu, voire contreproductif si une partie comporte plusieurs choix ouverts sur sa durée.

Ainsi…

Bien identifier les choix que vous voulez que votre jeu ou votre partie amènent vous permet de mieux préparer votre partie, les PJ et les PNJ, mais aussi décider comment les soutenir par un système adapté et cohérent.

Les choses à éviter

Voici plusieurs problèmes que je rencontre fréquemment et quelques conseils associés :

Les choix aveugles

Un choix aveugle est un choix désengagé. On pourrait aussi bien le tirer à pile ou face, ce qui signifie qu’il ne suscite aucun intérêt.

Quels que soient les choix que vous proposez, faites toujours en sorte que les joueurs puissent envisager leurs résultats ou leurs répercussions possibles.

Exit les choix du type : « couloir de droite ou couloir de gauche ? ». Il est important de permettre aux joueurs d’envisager le résultat de chaque choix, mais il est indispensable qu’il puisse toujours y avoir une dose d’imprévu.

Les choix sans enjeux

Les choix sans enjeux sont inutiles :

  • vous êtes devant la porte, qu’est-ce que vous faites ?
  • je frappe.
  • l’hôte t’ouvre…

(Mais quelle surprise !)

Si une situation ne présente pas d’enjeux (ne serait-ce que formels), inutile de laisser le choix, faites des ellipses, allez à l’essentiel.

Autre exemple :

  • vous êtes sur la route qui mène à la ville, que faites-vous ?
  • Eh bien… j’avance…
  • ok !

(Tous ces exemples sont du vécu)

Les temps de pause, les moments où les joueurs décompressent, sont en roue libre, sont néanmoins nécessaires, mais en évacuant les choix sans intérêt, vous pourrez distinguer ces parenthèses et les mettre en valeur.

Les pièges

Attention aux pièges ! Piéger vos joueurs n’est cool que si les joueurs ont des moyens de le contrecarrer, si les pièges ne tombent pas du ciel. Je ne parle pas seulement des trappes et des dalles qui actionnent des jets de fléchettes. Je parle aussi des coups de théâtre et autres ficelles scénaristiques.

Évitez les consensus

On peut prendre un peu de temps pour faire un choix, mais les discussions entre joueurs visant à mettre tout le monde d’accord pouvant parfois s’éterniser, elles me semblent pouvoir ternir rapidement une partie. Quand vous trouvez que les joueurs manquent de spontanéité, faites en sorte de clarifier vos situations. Si la situation est claire pour tout le monde, on ne spéculera plus, on règlera plus rapidement la question de qui fait quoi et comment.

Les joueurs craintifs

Si vous en avez marre que vos joueurs soient craintifs et ne déclenchent jamais d’actions flamboyantes et audacieuses :

  1. arrêtez de les piéger ;
  2. ne leur faites jamais subir arbitrairement des pertes (que ce soit perdre quelque chose comme une bourse d’or, ou perdre son personnage) ; permettez-leur d’avoir une emprise sur la mort de leurs personnages, qu’elle découle d’un choix, d’une prise de risque, plutôt que d’un manque de chance.

N’hésitez pas à commenter !

Les mécaniques de résolution correspondent à un panel assez large de pratiques. Ce sont les moyens qu’utilisent les joueurs et le MJ pour statuer sur le résultat de décisions fictives pour lesquelles plusieurs participants engagés dans la situation ne veulent pas la même issue.

C’est à la fois un moyen de départager les participants et un vecteur de résistance.

Au cours d’une partie, le meneur de jeu peut décider qu’une action réussit ou échoue, c’est une technique de résolution. Ce qui m’intéresse ici, ce sont les mécaniques formelles : celles qui utilisent des comparaisons de valeurs fixes ou aléatoires quel qu’en soit l’outil.

Pourquoi utiliser des mécaniques formelles ?

  1. L’impartialité

  2. La prévisibilité

  3. L’indétermination

  4. L’influence

  5. Les risques

  6. Catalyser l’histoire

  7. La spontanéité

1. L’impartialité

Comme je le disais, on pourrait se contenter de laisser le MJ statuer sur le résultat et les conséquences de chaque action, mais il arrive souvent que l’arbitraire des décisions du MJ soient problématiques : comme celui qui décide est juge et partie : il gère l’adversité et décide de ce que ses opposants réalisent effectivement, ses décisions seront souvent perçues comme « trop gentilles » pour éviter de frustrer les joueurs et pour ne pas faire foirer son scénario dans certains cas ou « trop dures » car il a peur de paraître trop gentil ou qu’il ne veut pas que les joueurs avancent trop vite dans les révélations de son intrigue. Même s’il essaye d’être juste, les joueurs ne peuvent en aucun cas connaître les motivations de son choix final. Cela ne permet pas de bien canaliser les frustrations.

L’autorité d’une mécanique de résolution – dès lors que tout le monde est d’accord pour adopter telle et telle technique se place en terme d’autorité – est au dessus de celle de n’importe lequel des participants puisque c’est le groupe par contrat ou consensus qui a choisi ou validé le moyen de résolution.

L’impartialité exige une certaine transparence et un respect des règles établies. Le MJ qui falsifie le résultat contrevient à ce principe et invalide le principe d’impartialité, de prévisibilité, d’indétermination et d’influence ; ce qui revient à jouer sans mécanique de résolution formelle.

2. La prévisibilité

La prévisibilité consiste à maintenir une causalité entre l’intention du joueur, son action et leur résultat. Ainsi, si je décide d’utiliser mon pouvoir de faire tomber la foudre pour faire fuir les opposants, je m’attends à ce que, quels que soient les moyens utilisés, ils répondent à ces attentes : est-ce que je parviens à faire tomber la foudre et/ou est-ce que j’arrive à faire fuir les opposants.

Une bonne prévisibilité implique deux choses : le joueur qui entreprend l’action doit être assuré que le MJ ou quel que soit le participant qui joue l’adversité, ne doit pas déjouer, dérouter arbitrairement son intention ni amener des conséquences qui transgressent la causalité.

Cela se résume à respecter l’échec ou la réussite obtenu mécaniquement et l’implication des actions entreprises et des intentions énoncées, sans quoi la prévisibilité deviendrait caduque.

C’est humain d’essayer de prévoir le résultat de nos actions, si cette prévision est déjouée par la mécanique de résolution, c’est le risque nécessaire ; si c’est le MJ qui décide que non, ça peut sembler arbitraire et illégitime, surtout quand les dés (ou quel que soit l’indicateur de résultat) indiquait une issue positive.

3. L’indétermination

L’indétermination, c’est le fait d’avoir une part d’imprévisible dans le résultat ou les conséquences de l’acte du personnage.

Si le résultat est toujours strictement ce que le joueur veut, prévoit, voire annonce sans possibilité de surprise ou d’enrichissement, alors les événements deviennent trop mécaniques, l’impression de réel est ternie, fragilisée.

Il est donc important de permettre aux participants d’ajouter des nuances quant à la manière dont les choses adviennent et surtout de ne jamais définir à l’avance les résultats des actions entreprises.

4. L’influence

L’influence c’est la façon dont le système permet au joueur d’influer sur l’issue d’un conflit : quand la mécanique se résume à cela : « quand vous tentez telle action, lancez tel dé, si le résultat est équivalent à telle marge, c’est réussi, sinon c’est raté », cela tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa sa résolution. « Le dé décide » entend-on parfois.

C’est la même chose pour les valeurs fixes, le fait d’être soumis à la rigidité d’un niveau (chiffré ou non) sans pouvoir l’augmenter (généralement moyennant contrepartie) tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa résolution.

L’influence peut être amenée de différentes manières :

  • faire un effort qui sera mécaniquement récompensé par une augmentation des chances d’obtention de l’issue désirée par le joueur ;

  • faire un effort qui sera potentiellement récompensé par un ou plusieurs autres participants s’ils jugent que l’effort fourni est suffisant (ou en proportion de l’effort fourni) ;

  • faire un choix, suivre un comportement qui augmente les chances d’obtenir l’issue désirée moyennant cependant une contrepartie ;

  • choisir de forcer un résultat non désirée moyennant une contrepartie pour en transformer l’issue d’une façon qui convienne davantage au joueur.

5. Les risques

Les risques sont les conséquences « négatives » d’un conflit (je mets négatif entre guillemets car il peut s’agir parfois de la moins mauvaise issue au conflit pour le joueur qui s’y confronte).

Dans beaucoup de jeux, les seuls risques sont les blessures qui conduisent à la mort, la mise hors jeu et perdre ou casser son équipement. Il y a pourtant tellement à faire : qu’ils soient directs (vise le personnage lui-même), indirects (menace d’un proche par exemple), qu’ils soient physiques, psychologiques, sociaux, qu’ils mettent en péril l’intégrité du personnage, ses buts, ses idéaux etc. le risque est un élément essentiel de la mécanique de résolution.

Quand la mécanique de résolution d’un jeu ne comporte pas de réel risque pour les PJ ou pour ce qui leur est cher, les personnages n’écopent d’aucune conséquence négative lors de leurs conflits. Le seul fait de créer une jauge de vie et une jauge de folie en enchaînant les plaies et les délires psychotiques me paraît être la modélisation de risques la plus basique et inféconde pour l’histoire jouée.

Les risques bien amenés permettent à une relation des PJ de ne pas être uniquement décorative et c’est la même chose pour les causes, les croyances etc. Cela fait participer les éléments de background du personnage aux conflits en faisant d’eux des enjeux, mis parfois en balance avec ce que le personnage cherche à obtenir sur l’instant.

Pour intégrer les risques, vous pouvez déterminer une répercussion des coups adverses sur des jauges, sur les caractéristiques du personnage, sur ses Traits, etc. Le but principal est de créer une conséquence mécanique aux conflits et donc assurer que le personnage ne restera pas inchangé face aux événements importants pour le jeu. Si vous voulez qu’il ne change pas et qu’il soit un héros « intouchable », reportez les risques sur la population qu’il doit sauver ou dont il doit garantir la sécurité, sur ses idéaux etc.

Je pense qu’il y a quatre types de risques :

  • les risques directs, visant le personnage lui-même (être blessé physiquement, psychologiquement, socialement, attaqué sur ses croyances, son histoire, ses valeurs etc.) ;

  • les risques diminuant les ressources du personnage et donc sa capacité à atteindre son but (perte de puissance, de points d’une jauge, de ressources matérielles etc.) ;

  • les risques indirects, visant ce qui est cher pour le personnage (ses relations, des PNJ qu’il protège, le gain de puissance de l’adversité etc.) ;

  • les risques entachant la réalisation même de l’objectif du personnage (pousser à l’abandon, la trahison, le pousser à utiliser des méthodes répréhensibles, causer des conséquences indésirables entachant la résolution de son objectif etc. ).

6. Catalyser l’histoire

En amenant de l’imprévu et des conséquences fécondes pour l’histoire, les mécaniques de résolution permettent de donner à l’histoire une évolution insoupçonnable, de développer des enjeux, d’en créer de nouveaux, de changer les personnages, ce qui s’avère dynamisant pour l’histoire.

7. La spontanéité

Se passer de mécaniques de résolution formelles ne vous prive pas nécessairement de tout cela, mais pour l’atteindre, il faudra généralement le prévoir à l’avance ou se forcer à le faire. La présence de telles mécaniques n’a pour but et effet que de permettre aux participants d’appréhender tout cela avec spontanéité plutôt que par calcul, permettant d’explorer des enjeux que les participants n’auraient jamais abordé en leur âme et conscience. Cela peut permettre également de mettre de l’inconscient au milieu des choix conscients. C’est une manière de tirer parti de tous les cerveaux autour de la table plutôt que d’un seul.

Les mécaniques de résolution formelles brisent de surcroît la tentation d’être consensuel, ce qui insufflerait une dynamique molle à la fiction.

***

Note : vous remarquerez que dans les mécaniques de résolution comme sur la structure générale d’une partie, principalement dans l’agencement de ses enjeux, il y a une similitude frappante quant au fait que le joueur doit pouvoir se projeter, être incertain de l’évolution de la ou des situations mais avoir une influence sur son issue (voir les articles « faire des ricochets sur l’eau » et « en cause et conséquence de la fiction »).

J’ai déjà parlé de la relation entre joueur et MJ comme la volonté et le monde. La réalité résiste, il nous est impossible, en tant qu’êtres humains, de casser un rocher à mains nues et pour convaincre quelqu’un il faut bien souvent du temps, des nerfs et de la sueur. Ce qui m’intéresse dans cet article, c’est la tension fertilisante qui existe entre différents participants. Le JDR donne une illusion de réalité en créant un rapport de force entre les différents participants, pour une bonne dynamique, il est important de créer une résistance saine. J’appelle cela la résistance asymétrique : elle fonctionne du fait que les rôles des participants diffèrent à une partie de jeu de rôle.

Ne pas confondre avec le « passage en force », la résistance asymétrique est une dynamique voulue par les participants. Une résistance saine utilise le système en tant que médiateur entre les participants, alors que le passage en force est la manière dont un participant impose ses idées à un groupe réfractaire, ou de telle façon que ça porte préjudice à d’autres participants en niant leur liberté ou leurs choix.

La résistance asymétrique est le contraire du consensus, le consensus est utilisé pour que tout le monde soit d’accord sur la partie jouée ensemble, éviter les grands désaccords et les fourvoiements de direction, mais cela ne signifie pas établir ce que la partie sera avant de la jouer, mais plutôt définir les limites et la démarche créative que l’on souhaite. Le consensus peut être recherché en amont d’une partie ou d’une scène, mais s’il est utilisé à tout autre moment de la partie, il tend à ramollir le jeu en se substituant à la résistance asymétrique, l’histoire ne menace plus de prendre une direction différente de celle désirée, elle se soumet aux envies des participants. Cela peut être intéressant de choisir le type d’histoire jouée, mais en aucun cas il n’est intéressant d’avoir un contrôle sur l’évolution de l’histoire.

La résistance asymétrique quant à elle se situe au cœur de ce qui est important : si les joueurs cherchent à accomplir une chose, il faudra d’autres participants qui s’y opposeront, qui leur donneront la réplique. La situation est la rencontre entre les personnages et le contexte. Si un seul joueur gère seul l’ensemble d’une situation, aucune résistance ne lui est opposée. Il faut donc des partenaires de jeux qui complèteront les situations. Le fait même qu’un autre participant ait la charge de contrôler des parties de la fiction auxquelles je n’ai pas accès constitue la base de la résistance asymétrique.

Le système de résolution constitue souvent le nœud de la résistance, mais il en existe d’autres : il peut s’agir de la mise en œuvre d’un cycle d’approbation : si mon personnage agit de façon héroïque, un autre participant me récompense, s’il juge que c’est bien le cas, d’un bonus. La résistance se situe ici entre l’adéquation avec la règle et la créativité dont fait preuve le premier joueur et le jugement du second. Plus le second sera exigeant et le premier peu imaginatif et plus la résistance sera rigide. Plus le second sera généreux et le premier imaginatif et plus la résistance sera souple. Mais l’important n’est pas d’avoir une résistance trop rigide, ce qui risquerait de décourager les participants, ni d’en avoir une trop souple également, sans quoi la partie risque de paraître fade (voir la question du consensus). Si vous n’avez aucune assurance d’avoir une résistance équilibrée, n’hésitez pas à instaurer une progression.

La résistance asymétrique, c’est la manière dont les interactions entre les personnes réelles rendent les issues incertaines des choix et propositions des participants. La résistance implique que chacun ne peut pas faire tout ce qu’il veut. La résistance asymétrique donne aux participants une emprise partagée et c’est ce partage qui fait que chaque personnage est limité.

  • Confrontation : lorsque deux participants veulent des choses contradictoires, il y a Confrontation. Les systèmes de résolution visent à résoudre ces désaccords, grâce à l’impartialité du système. Les participants doivent avoir une prise sur le système de résolution. S’il fonctionne sans le concours des participants, ce n’est pas une résistance asymétrique, juste une résistance mécanique. Si un joueur peut faire abandonner l’autre, il y a rapport de force, que ce soit en l’intimidant, en négociant etc. comme nous allons le voir dans les points suivants. Dans le cas où c’est un seul joueur qui arbitre, il faut contrebalancer son pouvoir afin d’éviter que l’arbitraire de ses décisions ne rende la résistance trop rigide ou trop souple, inéquitable, voire consensuelle entre les participants.

On pourrait imaginer que la Confrontation est présente dans tous les jeux, mais ce n’est pas forcément le cas. Un jeu comme Breaking the Ice de Emily Care Boss fonde les échanges uniquement sur les interactions positives, l’incertitude reposant sur leur fréquence, leur quantité et la clémence des dés.

Dans Prosopopée, il existe des mécaniques de résolution qui ne mettent pas en opposition les participants entre eux, mais qui les opposent à une résistance mécanique.

  • Compétition/défis : plusieurs participants se disputent un enjeu et usent de leurs ressources personnelles (logique, inventivité, calcul…) pour l’atteindre. Il y a jugement porté sur l’aptitude et la performance du participant. Les mécaniques qui permettent de surmonter cette résistance doivent être impartiales. Les participants créent les opportunités, estiment les risques, peuvent s’intimider, jouer au bluff, etc. Si cette résistance se joue sans les participants, elle n’est plus asymétrique, mais une résistance mécanique, comme cela peut arriver dans certaines pratiques n’offrant pas aux participants la possibilité d’influer sur le résultat des Conflits.

  • Négociation/chantage : consiste pour un participant à mettre en balance plusieurs enjeux d’un autre participant, afin de lui imposer un choix dont on ne peut prévoir à l’avance lequel sera fait. Aucun choix ne doit être dénué de contreparties. Cela peut donner lieu à de véritables dilemmes, mais ce n’est pas obligatoire, le simple fait de promettre une perte induit un jugement de valeur sur le choix produit.

Cette dynamique est fortement prescrite par les règles de jeux comme Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, Polaris de Ben Lehman et bien d’autres. Elle prend racine dans la manière dont les situations se constituent et se trouve verrouillée durant les Conflits, afin que les joueurs ne puissent pas trouver d’autres moyens de faire et se confrontent donc à la situation comme à un choix difficile, plutôt qu’un problème auquel il faut trouver la meilleure solution.

  • Séduction : un participant cherche à coller aux attentes d’un ou plusieurs autres, ou à les surprendre positivement. La séduction doit s’inscrire dans le respect d’un canon esthétique et le développer, ou doit chercher à entrer en résonance avec la sensibilité des participants.

Dans Prosopopée, les joueurs doivent se récompenser quand l’un d’entre eux narre quelque chose qui leur plait. Les joueurs sont donc invités à accorder de l’importance à la qualité de leurs narrations et à explorer leur créativité.

Dans Breaking the Ice, le Guide récompense le Joueur actif quand celui-ci met son personnage à son avantage ou quand il agit de manière flatteuse envers le personnage du Guide. Ici, la séduction joue par résonance avec le processus de séduction entre deux personnes.

  • Sympathie/antipathie : les participants, feront en sorte d’attirer la sympathie d’un joueur pour un personnage en dévoilant qui il est, son histoire, ses faiblesses et ses souffrances. Il peut également jouer sur l’antipathie et plus subtilement sur un jeu de sympathie/antipathie du personnage qui commet des actes immoraux mais avec de bonnes raisons, ou l’inverse. C’est généralement par les actes des personnages que se joue cette résistance.

Zombie Cinema de Eero Tuovinen donne une certaine importance à cette dynamique : le principe de « soutien » demande au joueur de prêter son dé gratuitement à un autre joueur pour augmenter ses chances de résoudre favorablement un Conflit. Ce qu’éprouve le joueur qui soutient envers le personnage tendra à justifier son choix. La mécanique de sacrifice joue d’une façon similaire, car elle permet de sauver la vie à un personnage. Un joueur ne le fera pas pour n’importe quel personnage, car cela peut mettre en danger, voire faire mourir le sien.

  • Rétention/fascination : cette résistance tire parti des mystères et des secrets. Elle met un participant en position de force (généralement le MJ), car il possède des informations que les autres n’ont pas et dont le but est de les amener à s’y intéresser, à créer une soif de découverte ou de compréhension. Il distillera les informations en fonction des choix des autres participants. Le but est d’utiliser ces moyens pour intriguer le joueur et le faire aller de l’avant. Il est important que les autres participants aient en contrepartie des espaces de créativité et une emprise sur certains enjeux afin d’éviter d’avoir l’impression d’être menés par le bout du nez. Il est préférable que les informations soient données selon un procédé transparent ; pas consensuel, mais le sentiment que le don d’information est arbitraire peut nuire à la l’implication des joueurs.

Sens Renaissance de Romaric Briand utilise ce procédé, car les secrets du monde ne se dévoilent que petit à petit et seul le MJ en est le gardien. C’est un procédé courant dans le monde du JDR, mais il confine souvent au participationnisme ou à l’illusionnisme, ce qui n’est pas, à mon avis la meilleure façon d’en tirer parti…

Innommable de Christoph Boeckle dans ses versions 007 à 009 utilise également ce procédé pour faire aller les joueurs de l’avant : le MJ a préparé une menace qui se dévoile progressivement par des indices et des évènements ambigus. Les joueurs ont une prise indirecte sur la nature de la source de la menace (généralement, un secret occulte, une créature indicible), par l’intermédiaire de monologues faisant sombrer les personnages entre surnaturel et folie, ils donnent forme à la menace. Le MJ, lui contrôle essentiellement les adversaires : humains voulant tirer parti de la source.

C’est assez rare, mais je suis convaincu qu’il est possible de donner des informations secrètes à plusieurs participants et de les intégrer à la partie petit à petit.

Il existe d’autres relations un peu différentes, plus ou moins fonctionnelles :

  • Participationnisme : un des participants (le MJ) connaît l’histoire à l’avance et les autres joueurs acceptent de la suivre, quitte à sacrifier leur liberté. Ils s’efforcent de coller aux attentes de celui qui dirige. Il est important que les joueurs aient pleine connaissance du fonctionnement de la partie et qu’ils l’acceptent, sans quoi, il peut y avoir friction. Ce principe joue donc sur un consensus, avec toutefois un enjeu de taille : celui qui dirige a pour tâche de donner aux autres quelque chose qui leur plait suffisamment pour justifier son contrôle sur l’Espace Imaginé et Partagé. Il s’agit souvent d’une forme de rétention/fascination poussée jusqu’à l’extrême. La différence se situe à l’endroit que la rétention peut être produite sur des éléments indépendants des choix des joueurs, alors que le participationnisme s’efforce de faire s’accomplir la destinée des personnages avec la complicité des joueurs.

  • Illusionnisme : le MJ fait croire aux joueurs qu’ils sont libres, mais il orchestre tout secrètement. Les choix des joueurs n’ont pas de réelle importance puisqu’ils mèneront toujours là où le MJ l’a prévu. L’illusionnisme constitue un rapport de force vicié, car l’enjeu est généralement trop grand pour le MJ pour pouvoir maintenir l’illusion en permanence. Dès que les joueurs s’en rendent compte, le jeu risque d’être rompu pour eux. L’illusionnisme compile un ensemble de Techniques visant à cacher la manière dont les décisions sont véritablement prises, par exemple, le MJ décide des niveaux de difficulté sans en parler aux joueurs afin de pouvoir les modifier secrètement et ainsi décider ce qui réussit et ce qui échoue conformément à l’histoire qu’il veut obtenir, sans se soucier réellement des résultats des dés. Les joueurs, eux, lancent leurs dés pensant que le résultat importe, ce qui n’est pas le cas. Si les joueurs se rendent compte que ça ne sert à rien, ils n’auront plus d’intérêt à lancer les dés.

Il est important de garder à l’esprit que les différents rôles mis en œuvre n’ont pas besoin d’être figés sur toute la durée d’une partie, il peut y avoir alternance : le joueur jugeant devient le joueur jugé, celui qui dresse les confrontations peut devenir celui qui les subit en cours de partie, etc.

Une séance de JDR n’utilise généralement pas qu’une seule de ces résistances asymétriques. Il n’est pas évident de prédire quelle sera la résistance asymétrique à l’œuvre durant une partie et pour les créateurs de jeux, je suggère de vérifier pendant les parties les dynamiques à l’œuvre pour les renforcer ensuite.

Je n’ai jamais vu une partie toutes les mêler sans créer des clivages entre les participants, mais on peut facilement en mélanger jusqu’à trois. Elles sont liées aux démarches créatives, mais on ne peut pas les y limiter : un jeu de rôle qui soutient une démarche créative « story now » comme Zombie Cinema fonctionne par un mélange de Confrontation (les joueurs sont souvent en opposition, les mécaniques de résolution de Conflit permettent de les départager), de sympathie/antipathie (les autres joueurs choisissent de soutenir un joueur en fonction de la situation, la sympathie/antipathie pour le personnage jouant un grand rôle ; le fait de pouvoir se sacrifier pour sauver un PJ fonctionne aussi sur ce principe) et de négociation (la règle de sacrifice et le choix de lancer ou non un Conflit peuvent amener les joueurs à privilégier un choix en sacrifiant autre chose).

Breaking the Ice fonctionnant selon une proposition créative similaire à Zombie Cinema n’utilise pourtant pas la Confrontation et place la séduction au premier plan. Il peut donc y avoir des différences nettes de résistances asymétriques dans des jeux soutenant le même type de démarche créative.

Chaque partie de Zombie Cinema se centre plus sur certaines résistances asymétriques que sur d’autres, certains pourront faire des efforts pour rendre leurs personnages sympathiques quand d’autres se concentreront sur la négociation/chantage.

Les questions que l’on doit se poser lors d’un game design, sera qui assume quel part de ces schémas : sont-ils plusieurs à assumer le même rôle ? Ou est-ce une personne indépendante ? Cette organisation peut-elle changer pendant la partie ? Y a-t-il des exceptions ?

C’est en différenciant les rôles et les tâches des participants, que ce soit de façon temporaire ou permanente, que vous produirez ces dynamiques de résistance asymétrique. Quand vous avez repéré celles qui prédominent dans les parties de votre jeu, vous devriez parvenir plus facilement à discriminer les techniques qui y sont appropriées et celles qui les parasitent.

Par exemple, il peut être difficile de faire fonctionner une résistance fondée sur la séduction s’il y a une compétition qui positionne un participant à la fois comme juge et compétiteur, tout comme l’utilisation de secrets peut donner aux joueurs le sentiment que les choix d’un « chantage » ne sont pas les seuls possibles et qu’en creusant ils pourront contourner le dilemme proposé…

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