D’après Romaric Briand, l’auteur de Sens Hexalogie, la relation entre le joueur et son personnage est la « volonté » ; comprendre : le joueur joue la volonté de son personnage.

On pourrait établir que le JDR fonctionne comme suit : le joueur joue la volonté du personnage et le MJ le monde autour de lui.

Alors, pourquoi on me laisse décrire les vêtements de mon personnage ? Parce que c’est mon personnage qui les a choisis, donc sa volonté a une influence dessus ? D’accord, mais alors pourquoi le MJ décide du type de domicile de mon personnage ? Après tout, la volonté devrait avoir une influence là-dessus aussi. Et pourquoi le joueur choisit-il de jouer un homme ou une femme, la volonté n’a, a priori rien à voir là dedans, à moins qu’on joue selon un paradigme disant que l’âme choisit son réceptacle avant de s’incarner et oublie tout de son ancienne existence ?

En réalité, tous les jeux de rôle offrent au joueur des espaces créatifs qui vont au delà de la volonté, que nous appellerons des « transgressions de simulacre », des espaces créatifs qui vont au-delà des prérogatives fondamentales des joueurs.

De la volonté au MJ, de l’humain au divin

Si le joueur est la volonté, qui est le MJ ? Si les volontés sont indispensables pour explorer le monde par leur point de vue, le MJ doit toujours être présent dans une partie de JDR car nous ne pouvons pas jouer que des réalités internes, il faut également construire la réalité externe et ensuite offrir par le système de jeu le moyen d’une interaction entre elles.

Parfois le MJ est attitré, d’autres fois, sa présence est subtile, parfois même, son rôle est réparti entre plusieurs participants, voire, tous.

Offrir un peu de transgressions sur l’espace d’exploration de la volonté rend le jeu moins rigide, moins tributaire des désirs du MJ, car c’est déjà un partage de son pouvoir. Si l’on peut envisager l’existence comme une soumission au destin, nous ne pouvons réfuter par nos actions notre libre-arbitre, mais plus avant, quand un joueur détermine le sexe de son personnage ou qu’il décide de décrire un pan du décor, il occupe subrepticement un rôle méta-humain, donc une part du rôle de MJ.

Une transgression de simulacre consiste à s’aventurer au delà des libertés humaines et s’avère nécessaire pour tout jeu de rôle ; ne vous y trompez pas, jouer la volonté d’un personnage à 100% est impossible, ne serait-ce que décider d’un fait du personnage comme découlant de choix passés est déjà une transgression, car on ne le remet pas en cause, alors que si on voulait assumer un paradigme de simulation du réel, il nous faudrait vérifier que le personnage trouve bien les vêtements de la couleur qu’il désire, que le couturier parvienne à le créer parfaitement, qu’il ait les moyens de le payer et qu’il le possède toujours plusieurs années après.

Je vous propose d’abandonner purement et simplement toute logique de simulation du réel. Dès lors, les transgressions deviennent un outil qui permet non seulement de varier les expériences de jeu, mais aussi de résoudre un certain nombre de problèmes liés à la trop forte dépendance au MJ.

Voici un panel des transgressions de simulacre que l’on rencontre dans les diverses formes de jeu de rôle entre la volonté pure et le rôle omnipotent du MJ :

  1. La volonté nue : le joueur ne décrirait que ce que la volonté dicte au personnage, donc ses intentions d’actes, ses paroles et éventuellement ses pensées. Ce principe de base est toujours associé à des transgressions plus ou moins importantes.

  2. L’être : le joueur décrit en plus des actions, ce qui constitue le personnage : son corps, ses capacités, son histoire et son milieu social.

  3. La puissance : le joueur décide ce que son personnage est capable d’accomplir ou non tant que ça n’interfère pas avec d’autres volontés. On pourra aménager en cas de victoire de Conflit des espaces où le joueur pourra décrire les résultats des actes de son personnage. On peut aussi dire que tant que d’autres volontés ne s’y opposent pas, le joueur peut décrire le résultat de ses actions.

  4. Les possessions : le choix de tenue vestimentaire, d’équipement, de logement, de véhicule du personnage sont les conséquences de la volonté. Il ne s’agit pas seulement de déterminer ce qu’on possède, mais aussi d’avoir le loisir de le décrire. Ces choses là dévoilent l’identité du personnage, il n’est donc pas rare que le joueur décide de le choisir et le décrire de lui-même (ne serait-ce qu’en le dessinant). Cette transgression peut aller jusqu’à laisser les joueurs décider à tout moment de la partie que leurs personnages possèdent une arme à feu ou tout autre objet nécessaire à la progression de l’histoire, ou à son enrichissement.

  5. Les savoirs : le joueur détermine les savoirs de son personnage, il peut même aller jusqu’à les inventer tant qu’il respecte le canon du monde fictif, bien sûr.

  6. La complétion des situations : plutôt que d’attendre la réponse ou l’aval du MJ pour des détails, le joueur peut les créer lui-même. Ainsi, s’il est dans une forêt, il peut décider de grimper à un arbre, sans en demander la permission au MJ, ce qui signifie qu’il décide qu’il y a un arbre qui peut être escaladé, puisque la forêt implique la présence d’arbres. Il peut même décider qu’un arbre est assez épais pour se cacher derrière. Cette technique permet de fluidifier la narration et de préserver la crédibilité des personnages afin d’éviter que les joueurs ne proposent que des choses qui sont déjouées par le MJ, qui ne s’avèrent pas possibles ou qui finissent par échouer lamentablement : plutôt que d’être toujours dépendant du MJ et du système de résolution (voire de la caractéristique « chance » dans certains jeux) – d’un point de vue fictionnel – le joueur peut décider que son personnage ne fait les choses que parce qu’elles s’avèrent implicitement possibles ; d’un point de vue mécanique – c’est parce qu’un joueur veut faire quelque chose que la situation le permet.

  7. L’état divin : que l’on peut aussi appeler rôle du metteur en scène, est généralement endossé par le ou les MJ, mais pas toujours, notamment quand le décor n’a pas une grande importance dans l’histoire jouée. Consiste à pouvoir décrire les éléments de décor et d’intrigue, les personnages secondaires etc. Les jeux qui offrent une telle liberté à tous les participants, s’arrangent généralement pour différencier leurs rôles de manière plus ou moins formelle, en distinguant des priorités d’une autre nature, telles que l’adversité, planter des situations ou autres entre les joueurs.

Ce ne sont que des exemples assez courants, on peut bien sûr les cumuler et les soumettre à conditions, mais ceux-ci sont éprouvés. Je pense que chacune de ces transgressions est potentiellement valable, selon la manière dont elle est intégrée aux faisceaux de techniques d’une partie de JDR.

Ces techniques peuvent être utilisées librement si les enjeux du jeu ne sont pas tactiques, sans quoi, il faudra les baliser afin d’éviter les débordements à même de déséquilibrer les chances de succès. En fait, un bon game design devrait connaître les enjeux importants pour les parties à jouer et laisser aux joueurs la liberté de décider si son personnage sait faire une chose ou une autre, ou s’il possède un objet à un moment précis, tant que ça n’interfère pas avec les enjeux ciblés par le système.

Beaucoup de rôlistes peinent à accepter la logique des points 3, 4, 5, 6 et 7, car sortant d’une relation « humaine » au monde réel (alors que la 2 l’est tout autant).

Elles utilisent le principe de justification a posteriori qui est la base d’un paradigme fictionnel : si un personnage a voulu faire une action, c’est parce qu’on adapte la situation aux désirs du joueur et non parce que le MJ l’a jugée pertinente. Cela nécessite que ces techniques n’entrent pas en conflit avec celles du MJ.

Toute fiction est incomplète et la fiction verbale encore plus que les autres. Un auteur de roman se contentera de dire ce qui est important pour l’histoire et ce qui n’est pas habituel dans notre monde (voir Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, aux PUF), notamment car le langage ne permet pas de donner des images présentant une scène de manière exhaustive. Si on ne laisse pas les joueurs combler un peu ce qui est lacunaire – comme le romancier le fait avec ses lecteurs – l’échange de parole lors d’une partie de JDR devient surchargé, nébuleux et laborieux.

Enfin, offrir des transgressions aux joueurs permet d’alléger la charge du MJ.

Cet article se veut complémentaire des principes de responsabilités et propriétés, ainsi que des postures tout en y étant étroitement corrélé.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.