Monostatos, le jeu de Fabien Hildwein est paru.
On y joue des héros rebelles et libérateurs face à l’oppression d’un dieu ayant vaincu tous ses prédécesseurs. Ce dieu offre paix, confort et protection à l’humanité en échange d’une soumission totale à son culte.
Les héros sont des insoumis qui ont pâti du culte et qui veulent vaincre ce dieu médiocre et honni.
Pour avoir relu, testé le jeu et filé un coup de main à son auteur, je vous propose mon éclairage sur son travail.
Voici donc dix choses remarquables au sujet de Monostatos :
1. L’auteur y présente un univers de fantasy personnel, dépouillé de tout folklore « Tolkiennesque », en s’attardant sur la beauté du monde – ses paysages désertiques – ses peuples – inspirés de la Mésopotamie, des cultures Berbères, de l’Égypte antique – ainsi que ses symboles.
2. Le jeu propose aux joueurs des espaces de créativité très grands, puisqu’ils peuvent décrire le décor autour de leurs personnages, faire de la mise en scène et apporter ainsi leur contribution au monde qu’ils explorent. Cela s’accorde très bien avec la description de l’univers du bouquin, parce que l’univers en question est une inspiration pour le MJ et les joueurs, pas un carcan.
3. Le MJ prépare un lieu avant chaque partie avec l’aide d’une méthode rapide à mettre en place et vraiment utile. L’avantage de cette méthode, c’est qu’elle permet de préparer à chaque partie seulement ce qui est utile, plutôt que d’en préparer des caisses ou de lire des centaines de pages dont on ne retirera qu’un dixième. Le MJ présente la préparation de son lieu aux joueurs, ce qui leur permet de connaître l’essentiel afin de profiter de leur liberté de narration tout en étant sûr de ne pas contredire la préparation du MJ.
4. Les joueurs choisissent pour chaque partie un objectif qu’ils pourront atteindre (ou non) à l’issue de votre séance de jeu. Cet objectif pourra être lié à leur passé, à leurs croyances, voire directement à la lutte contre Monostatos et son culte…
5. Les combats sont généralement assez épiques et hauts en couleur et les héros sont véritablement héroïques et admirables. Vous ne risquez pas de mourir bêtement ou de paraître ridicules lorsque vous échouez au lancer de dé.
6. Les mécaniques de résolution sont très simples, elles demandent aux joueurs de savoir prendre des risques, avec une gestion de points permettant de relancer les affrontements. Pas de listes ni de tables interminables d’options, de simulations des probas etc. Tout se règle simplement et de la même manière. Les réussites font avancer les PJ vers leurs buts personnels et les échecs leur infligent des « faiblesses », pouvant les faire échouer dans leurs quêtes. Ne pas savoir abandonner au bon moment, c’est prendre le risque d’épuiser sa réserve de points. Bref, enfin un jeu soutenant une démarche ludiste permettant de jouer des histoires belles et intelligentes.
7. Les mécaniques de résolution gèrent simplement aussi bien les combats que les affrontements psychologiques : haranguer les foules, convaincre un fidèle etc. En somme, vous pouvez aussi bien jouer des joutes verbales, des conflits d’idées que des combats spectaculaires.
8. Les joueurs sont vivement incités à trouver des alliés, tisser des relations et inciter les foules à la révolte contre ce Dieu qui les empêche d’exister pleinement, autant que combattre avec des moyens traditionnels ou surnaturels. Le passé et les relations des PJ ont vraiment du poids dans le jeu ; pour aider les PJ, comme pour les mettre dans de sales draps. La qualité des histoires en bénéficie grandement.
9. Le MJ peut déployer les prêtres du culte de Monostatos pour les opposer aux PJ. Leur influence peut posséder les lieux et les personnes les plus inattendues.
10. Le fait que le jeu soit découpé en scènes permet à chaque participant, joueur comme MJ d’avoir le devant de la scène chacun son tour.
Tout cela est favorisé par le fait que le jeu partage le contrôle de l’histoire entre joueurs et MJ et en utilisant des règles dans ce but plutôt que de tenter de simuler la réalité et de donner au MJ le dernier mot sur tout.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Une partie de JDR où le MJ a un maximum de contrôle devrait laisser aux joueurs au minimum le contrôle de la volonté de leurs PJ. Mais ce n’est pas toujours un acquis. Un espace de créativité est une partie du système qui donne du pouvoir aux joueurs sur certains éléments spécifiques de la fiction.
Les espaces de créativité canalisent les responsabilités, l’emprise des joueurs sur la partie. En donnant d’importants espaces de créativité aux joueurs, le MJ partage un peu de son autorité, il accepte de ne plus avoir un contrôle directif sur la partie. En terme de contrat social, donner une participation plus importante aux joueurs tend à favoriser leur implication dans la partie en les responsabilisant (voir « contrôle coopératif »). La qualité de la partie dépend à présent d’eux autant – ou presque – que du MJ.
Quelques exemples
Voici quelques exemples d’espaces de créativité :
- interpréter un personnage ;
- créativité tactique ;
- zoomer, dézoomer (voir réification)
- illustrer la manière dont une chose prédéterminée advient ;
- inventer une manière d’utiliser un pouvoir « ouvert » ;
- effectuer une narration de résultat ;
- décrire le décor ;
- contrôler des PNJ ;
- etc.
Chacun de ces exemples est pris hors contexte. Il s’agit d’espaces de créativité bruts.
Certains d’entre-eux ont un impact faible sur l’évolution de la partie, d’autres au contraire ont un impact fort.
« Interpréter un personnage », « zoomer, dézoomer » ou « inventer une manière d’utiliser un pouvoir ouvert » sont des espaces de créativité faibles, car ils n’ont que peu d’impact sur le déroulement de la partie.
« Effectuer une narration de résultat », « décrire le décor » ou « contrôler les PNJ » sont des espaces de créativité forts car ils ont un grand impact sur le déroulement de la partie. Généralement, ce type d’espaces de créativité nécessitent un système adapté à l’emprise qu’ils confèrent aux joueurs.
Les espaces de créativité sont intimement liés à la nature des choix que vous désirez explorer dans vos parties. Ils sont un moyen de renforcer l’importance de ces choix, de les développer comme élément fondamental du système.
Implication sur le système
Lorsqu’on donne aux joueurs la possibilité de modifier durant la partie d’importants éléments de la fiction, il faut s’attendre à ce qu’ils interfèrent avec une préparation figée de la partie.
Les espaces de créativité forts nécessitent un système qui prend en compte les incertitudes qu’ils génèrent.
Par exemple, laisser les joueurs effectuer les narrations de résultat durant une partie s’accorde mal avec un scénario prévoyant une certaine évolution de l’histoire, puisque cela renforce l’emprise des joueurs sur son développement. Cette technique s’accorde bien avec des préparations de situation ouvertes, voire pas de préparation de situation du tout.
Décrire le décor s’accorde mal avec un univers figé par avance, puisque les joueurs pourraient être amenés à contredire les informations prévues.
Contrôler les PNJ dilue l’une des principales responsabilités du MJ, cela demande d’adapter le rôle du MJ, voire de le répartir entre tous les participants.
Note : ces espaces de créativité peuvent être complètement dévolus aux joueurs ou partiellement : la narration de résultat par le joueur peut se faire seulement sur les victoires, seulement sur les échecs, sur tous les résultats, à la charge du joueur en position défensive lors d’un conflit, limité ou complètement libre…
La description du décor peut se limiter aux lieux que connaît le PJ, peut être partielle, soumise à conditions ou intégrale.
Contrôler les PNJ peut se limiter aux alliés, à certaines relations du PJ ou être ouverte à tous.
Implication dans la proposition créative
Les espaces de créativité dévolus aux joueurs sont fortement liés à la proposition créative d’un jeu ou d’une partie de JDR, voici différentes manières dont un espace de créativité peut s’inscrire dans une proposition créative :
- dans D&D, les joueurs (pas les personnages) ont comme principal espace de créativité, celui de gérer au mieux les ressources de leurs personnages disponibles et celles du décor, compte tenu des ressources de l’adversaire (avantages de distance, d’angle d’attaque, d’équipement contre équipement, d’utilisation judicieuse des dons, des sorts etc.). Le système est fait de telle manière que les joueurs qui feront les choix les plus efficaces au meilleur moment économiseront leurs points de vie et de magie durant les combats et parviendront mieux à accomplir leurs quêtes.
- Sens propose aux joueurs (et non aux personnages) de se focaliser sur la manière « appropriée » d’interpréter son personnage : les joueurs savent que le MJ juge la pertinence de leurs choix et la qualité de l’interprétation qu’ils font de leurs personnages. Le cadre est l’univers en lui-même et les références sont les « faits » (= traits) notés sur la fiche de personnage, choisis par le joueur lui-même. Durant le jeu, le MJ récompensera, via les « points d’immersion », la créativité des joueurs en jugeant de la pertinence et du respect des faits et de l’esthétique voulue pour la fiction. Ce phénomène se répète de différentes manières à différents niveaux du jeu (la réification fonctionne également sur un principe proche : le joueur précise de quelle manière il cherche à appréhender un problème, le MJ répond favorablement ou non s’il juge l’approche du joueur appropriée et créative).
- Un jeu comme Dogs in the Vineyard propose de jouer des prêtres-juges dont le rôle est de chasser le péché d’une communauté pieuse de l’ouest américain au XIXe siècle. Les joueurs (et pas les personnages) vont donc choisir comment juger les pécheurs (un sermon ou une balle dans la tête ?). Les joueurs peuvent narrer leurs victoires lorsqu’ils remportent un « conflit », mais ils peuvent aussi choisir partiellement les conséquences que le conflit aura sur leurs personnages. Ici, les joueurs ont un grand espace de créativité sur l’évolution de l’histoire : le choix de leurs actes au cœur de situations de crise et l’exploration de leurs conséquences. La préparation de la partie se résume à une série de révélations et maintient une vraie indétermination quant à la tournure que l’histoire va prendre. Ce simple fait offre aux joueurs de décider comment ils vont appréhender et régler les problèmes, ce qui constitue également un important espace de créativité.
- Dans Zombie Cinema, les joueurs (pas les personnages) se partagent les responsabilités du MJ et peuvent donc décrire le décor, les PNJ et l’évolution de l’histoire. Ça c’est un bon gros espace de créativité ! Principalement, le jeu est conçu de telle manière que l’histoire finit par amener les joueurs à faire se conduire leurs personnages comme des héros, des antihéros ou même de parfaits salauds. L’espace de créativité de ZC se focalise sur le caractère vertueux ou immoral des personnages, le contexte étant finalement plutôt secondaire. Les joueurs peuvent soutenir les joueurs en prêtant leur dé durant un conflit afin d’augmenter leurs chances de succès. Ce choix est généralement porté sur la sympathie ou l’antipathie éprouvée à l’égard d’un des belligérants. De même, un joueur peut sauver le personnage d’un autre de la menace zombie en sacrifiant son personnage. On se sacrifie généralement pour les personnages pour lesquels on éprouve de la sympathie.
Vertus des espaces de créativité
L’espace de créativité offre aux joueurs la possibilité de s’exprimer, de participer activement et grandement au développement de la fiction. Ce faisant, ils peuvent orienter la partie de manière à ce qu’elle s’adapte à leurs envies. Le cadre que constitue le système permet d’éviter que les participants ne partent dans des directions incompatibles. L’augmentation des échanges entre les participants favorise l’harmonisation des attentes et de leurs réponses.
Il existe un très grand nombre de façons d’amener des espaces de créativité dans vos jeux ou durant vos parties. Ils n’ont pas besoin d’être très grands pour remplir leur rôle. Quelle que soit leur nature, ils permettent de renforcer la cohésion autour de votre table s’ils sont convenablement soutenus par l’ensemble de votre système.
N’hésitez pas à poser des questions ou à commenter cet article.
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