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Selon le principe de Lumpley1 que je vous rabache souvent, le système (incluant les règles mais ne s’y limitant pas) est l’ensemble des moyens par lesquels le groupe se met d’accord à propos des événements fictifs.

Ok , voyons cela de plus près.

 Faire du jeu de rôle, c’est dire des choses à propos de personnages dans une fiction.

Il ne suffit pas de dire des choses, on a besoin d’établir qui peut dire quoi ; il y a des choses que j’ai le droit de dire et pas toi et vice versa.

Quand je dis quelque chose, c’est dans le but de réagir à ce que quelqu’un a dit et d’obtenir une réaction de quelqu’un d’autre.

Quand ce que je dis s’oppose à ce que tu dis et que chacun campe sur ses positions ou que l’on endure un risque que l’on veut éviter, on parle de résistance.

Quand on décide qui surmonte l’opposition, on parle de résolution.

 Ça, c’est la base d’une partie de jeu de rôle.

C’est quoi le système là-dedans ?

Qui dit quoi ?

Souvent en jeu de rôle, j’ai le droit de dire ce que fait un personnage particulier mais pas les autres. Le MJ décrit le décor et ce que font les personnages, sauf ceux des joueurs…

 Il s’agit du fondement du système : établir qui a le droit de dire quoi.

 Souvent, les groupes ayant une pratique traditionnelle mettent en place des procédures de manière tacite quant à qui a le droit de dire quoi : à certaines tables traditionnelles, les joueurs ont le droit de décrire les lieux qui appartiennent à leurs personnages, mais ce n’est pas toujours le cas ; certaines fois les joueurs doivent questionner le MJ pour savoir si quelque chose existe, d’autre fois, le MJ les laisse décider eux-mêmes ; il arrive que les joueurs enrichissent eux-mêmes le monde du jeu, parfois c’est le MJ qui gère cela seul ; le MJ peut parfois prendre temporairement le contrôle des PJ, parfois il s’en abstient, etc.

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît conditionne fortement qui a le droit de décrire ce qui le compose.

 Dans les jeux à partage d’autorité, souvent ces procédures sont formalisées et l’on voit les joueurs narrer le résultat de leurs jets de dés ; décrire le décor ; jouer les PNJs ; développer l’intrigue au fil de l’histoire etc.

 Décider qui a le droit de dire quoi, c’est répartir les Responsabilités narratives2. C’est la première pierre du système.

 Les Responsabilités narratives permettent l’altérité, autrement dit, le sentiment d’être la volonté d’un personnage3 qui ne peut faire tout ce qu’il veut dans le monde fictif et qui se heurte aux volontés des autres personnages qu’il rencontre sans pouvoir prédire leurs intentions. Un simulacre d’existence humaine en quelque sorte.

Qui est décisionnaire ?

Une fois qu’on a décidé qui peut dire quoi, il faut savoir qu’en jeu de rôle rien ne peut se produire dans la fiction si tous les participants n’y ont pas consenti.

Ce consentement est généralement tacite et l’absence de consentement signifie remettre en cause ce qui a été dit.

 De plus, les Responsabilités sont toujours plus ou moins perméables entre les participants, et pour renforcer le sentiment que certains éléments de la fiction nous appartiennent, on donne le dernier mot ou un droit de véto4 à une ou plusieurs personnes concernant certains éléments de la fiction. Ce qui s’apparente à focaliser l’attention des participants sur certains éléments de la fiction afin de leur demander de juger plus scrupuleusement de ce qui mérite leur consentement. Et leur permettre de rejeter une proposition qui ne leur convient pas.

 Dans un JDR traditionnel, c’est généralement le MJ qui a le dernier mot sur tout : tous les participants acceptent qu’il puisse remettre en cause n’importe quel élément fictionnel ou des règles. Dans un JDR à partage d’autorité, certains participants ont le dernier mot sur certaines choses (par exemple le passé de son personnage, l’intrigue etc.)

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît induit fortement qu’il ait le dernier mot sur cet univers.

 Donner le dernier mot à quelqu’un fait partie de la répartition de l’autorité. C’est la deuxième pierre du système.

Réagir et faire réagir

Tout ce qu’on dit dans la fiction s’adresse toujours aux autres participants. La plupart du temps, cela pousse d’autres participants à dire quelque chose en retour. Les narrations fictionnelles qui ne s’inscrivent pas dans cette dynamique sont de la Couleur5 pure.

 Exemple : « le MJ dit aux joueurs que des voitures aux vitres teintées roulent pied au plancher dans leur direction et qu’ils voient les vitres se baisser et des flingues pointer vers eux. »

Cette narration incite les joueurs à réagir en manifestant un danger à l’encontre de leurs personnages.

 Si joueur A dit : « je prends mon flingue et je vise les roues des voitures. »

Il réagit à ce qu’a dit le MJ. Mais il sait peut-être qu’un autre joueur réagira (positivement ou négativement) à ce qu’il vient de dire.

 Joueur B dit à joueur A : « je te fais baisser ton arme et t’entraîne dans une ruelle sombre. Ils sont bien trop nombreux, planquons-nous ! »

Il a réagi à ce qu’ont dit respectivement joueur A et le MJ.

 Mais le MJ n’a pas dit son dernier mot : « vous entendez les voitures freiner en haut de la ruelle et quatre ou cinq personnes en sortir et vous prendre en chasse ».

Le MJ réagit à ce que joueur A et joueur B ont dit et les pousse de nouveau à réagir sous réserve de passer un sale quart d’heure.

 Ça marche aussi avec des obstacles inertes : Le MJ dit : « Soit vous passez par le chemin et vous arriverez en retard au rendez-vous, soit vous tentez d’escalader la falaise escarpée. »

Que fait-il ? Il propose un choix6 aux joueurs.

 C’est ce qu’on fait continuellement en JDR, on propose des choix aux autres. Le MJ dresse une situation → un joueur réagit en premier → un autre joueur réagit à ce que le joueur a dit → le MJ réagit à leurs actes et ainsi de suite.

 Notez que ce n’est pas toujours aussi flagrant : on propose des choix aux autres participants chaque fois qu’on ajoute quelque chose dans la fiction, qu’on décrit les actes de son personnage, etc. parce qu’à chaque fois cela change la situation fictive et donc les possibilités des autres participants.

 Parfois, on obtient une réaction sans l’avoir volontairement provoquée. Par exemple, on pensait qu’un autre joueur nous suivrait et en réalité il s’oppose à notre proposition.

 Tout cela, c’est ce qu’on appelle le Positionnement fictif7, autrement dit, la manière dont chaque participation alimente une situation fictive en créant un ensemble de choix nouveaux aux autres participants.

 Il s’agit là du point de convergence de l’ensemble du système de jeu. Le but de toute procédure, de toute règle et de toute Technique, c’est de produire du Positionnement et d’en renforcer la qualité.

La structure dramaturgique

Dans les pratiques traditionnelles, la structure de l’histoire est prévue à l’avance par l’intermédiaire d’un scénario plus ou moins directif.

Dans d’autres pratiques, ce sont des mécaniques de jeu qui constituent la structure de l’histoire de la partie8.

Parfois, la préparation des personnages est un apport très consistant à la structure de l’histoire9, voire en constitue le principal moteur.

Il arrive enfin que l’on formalise le découpage des scènes10 pour structurer l’histoire.

Il est rare qu’un jeu de rôle n’ait aucune préparation visant à alimenter la structure de l’histoire.

La structure dramaturgique est la colonne vertébrale d’un système et d’une partie de jeu de rôle.

La résistance

Il y a certains faits fictifs que l’on ne peut dépasser que sous certaines conditions. Ils sont généralement associés à l’idée d’obstacle, de conflit, d’épreuve, de danger, de combat…

Le joueur fait de sa volonté celle de son personnage par le principe de synesthésie11. Il y a deux types de faits qui génèrent de la résistance fictive : les autres volontés et les obstacles. Quand mon personnage ne veut pas que le tien obtienne ce qu’il désire ou quand un élément du décor se dresse entre ton personnage et son objectif.

La résistance12 est toujours un moment du jeu où l’on fait appel à des procédures réelles (les mécaniques de jeu) pour faire des éléments fictifs des obstacles à la volonté du personnage.

Il s’agit d’un des fondements du jeu de rôle. Si vous retirez toute résistance d’une partie, tout sera calme, personne ne s’opposera à personne, rien ne sera vivant dans votre histoire. Il n’y aura d’ailleurs pas d’histoire.

Résoudre la résistance

Chaque jeu ou chaque groupe définit différemment ce qui mérite de la résistance. On ne peut dépasser la résistance fictive que si l’on remplit une condition pré-établie, par exemple :

  • obtenir un score supérieur à 3 sur un d6 ;
  • avoir pioché du cœur parmi les cartes ;
  • que le MJ donne son aval ;
  • posséder un score de Caractéristique plus élevé que son adversaire ;
  • avoir misé secrètement plus de jetons que son adversaire ;
  • d’obtenir un score supérieur à celui de l’adversaire sur un d10 ;
  • etc.

Les mécaniques de résolution13 permettent donc de résoudre et donc de dépasser la résistance rencontrée dans la fiction. C’est une manière pour la volonté de prendre le dessus sur le monde ou sur d’autres volontés afin d’atteindre son but.

La résolution et la résistance sont interdépendantes.

La monnaie d’échange

La monnaie d’échange14, ce sont les interactions entre les différentes mécaniques du jeu, notamment celles qui concernent les personnages. L’un des principaux intérêts de la monnaie d’échange, c’est de créer des interactions bénéfiques ou néfastes en fonction des choix du joueur et donc d’encourager certains comportements pendant les parties15.

Voici un bel exemple de monnaie d’échange : dans Dogs in the Vineyard, pendant un Conflit, si l’on change de mode d’action (entre quatre possibilités : non-physique, physique, combat et armes à feu), on peut ajouter à notre main des dés de Caractéristiques supplémentaires. Cela a pour effet d’augmenter nos chances de succès quand il ne nous est pas acquis, mais tend à nous faire causer plus de Retombées et à envenimer la situation (principalement quand on passe d’un mode de Conflit non-violent à un mode violent). Les Retombées apportent des modifications (négatives et/ou positives) aux personnages (dans leurs Traits et leurs Caractéristiques) et mettent éventuellement leur vie en danger.

Pour conclure

Le système, c’est tout cela. Beaucoup de choses que l’on fait par habitude sans y réfléchir et qui sont, au fond, rarement expliquées dans les livres de JDR. Et quand on en prend conscience, cela ouvre un champ de possibilités insoupçonnées.

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1Voir le principe de Lumpley sur le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

2Au sujet des Responsabilités narratives : https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

3Voir La volonté et le monde : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-volonte-et-le-monde/

4Voir JDR traditionnel et JDR à autorité partagée : https://www.limbicsystemsjdr.com/jdr-traditionnel-et-jdr-a-autorite-partagee/

5Couleur : tout détail, illustration ou nuance qui produit une ambiance (Définition de Ron Edwards). http://ptgptb.free.fr/index.php/le-lns-chapitre-1/

6Pour en lire plus sur les choix : https://www.limbicsystemsjdr.com/question-de-choix/

7Lire l’article synthétique de Vincent Baker (en anglais) sur le Positionnement : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=702

8Voir Zombie Cinema de Eero Tuovinen : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

9Par exemple Lady Blackbird : http://ladyblackbird.ecuries-augias.com/

10Voir Bliss Stage : http://swingpad.com/dustyboots/wordpress/?page_id=244

11Synesthésie : la corrélation entre les enjeux fictifs et ludiques, voir https://www.limbicsystemsjdr.com/retour-sur-la-synesthesie/

12Pour en savoir plus, lire la Résistance asymétrique : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

13Voir les articles À propos des mécaniques de résolution : https://www.limbicsystemsjdr.com/a-propos-des-mecaniques-de-resolution/ et Pourquoi nous lançons des dés : https://www.limbicsystemsjdr.com/pourquoi-nous-lancons-des-des/

14Voir Currency dans le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

15Voir Les niveaux d’un système : https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

Je remarque que j’emploie souvent cette appellation et afin de dissiper tout malentendu, je voudrais expliciter ce que je mets derrière.

Un JDR classique est un jeu ou une pratique qui donne au MJ le dernier mot sur tout*.

Cela signifie qu’il est au dessus des règles du jeu, qu’il peut les ignorer, les modifier, en créer à loisir, que tout ce que disent les joueurs est soumis aux règles et l’est également au jugement du MJ.

Il décide s’il y a ou non une préparation de partie, quelle forme elle prend ; quels enjeux il soumet aux joueurs ; quelles sont les responsabilités de chacun ; quand on lance les dés ; il vérifie la validité des participations de chacun ; il juge la qualité des propositions des participants, etc.

Les jeux non classiques sont donc ceux qui placent les règles au dessus du MJ et les joueurs sur le même plan que le MJ voire, comme Innommable, soumettent le rôle de MJ à des règles.

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* J’emprunte cette définition à Vincent Baker, si vous souhaitez en lire plus, suivez ce lien (en anglais) : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=55

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