Le réalisme est une chimère
Nombre de rôlistes ne jure que par le sacro-saint réalisme.
C’est une idée qui n’apporte que peu de choses au JDR voire qui sème une véritable confusion.
1. Le réalisme est subjectif
On entend beaucoup parler de réalisme en regard d’un système et de la cohérence d’un univers : quand les éléments qui les constituent s’apparentent à la compréhension que l’on a du monde qui nous entoure. Cette compréhension passe aujourd’hui par les sciences principalement.
Or, imaginez des grecs dans l’antiquité jouant au JDR. Leur vision du monde n’avait que peu à voir avec celle d’un citadin occidental de nos jours. Les dieux étaient à l’origine de nombre de phénomènes qu’ils ne soumettaient pas à l’analyse. La superstition dominait en partie les mentalités. De même au moyen-âge, à tel point que la conception même des fictions en a été changée depuis lors : Un intervention divine (Deus ex machina) chez Sophocle ou Molière, c’était tout à fait cohérent et satisfaisant pour un spectateur de l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’explication de la grâce divine n’est plus satisfaisante, car notre conception de la réalité à changé. Qu’est-ce qui nous dit que notre conception de la physique aujourd’hui sera toujours jugée cohérente dans 50 ans ? De plus, même de nos jours, entre un catholique, un bouddhiste et un scientiste, il y a peu de chances que la représentation et la compréhension du monde soit la même.
Donc réaliste veut-il dire : « conforme à la représentation de la réalité des joueurs compte tenu de leur époque et de leurs croyances ? »
Ou peut-être simplement ce qui est suffisamment crédible pour que l’implication du joueur dans la partie se fasse sans effort ?
Je pense qu’entre le réalisme du système et le réalisme de la fiction, il y a deux problèmes différents, je vais donc les aborder séparément :
2. Le réalisme et la fiction
Dans l’histoire de l’art, en littérature ou en peinture, on a parlé de réalisme à partir du moment où les artistes et auteurs ont décidé de s’opposer à la vieille idée que seuls les nobles et les sujets religieux méritaient d’être représentés. Ils ont commencé à dépeindre la vie des gens du peuple sans complaisance, sans idéalisation. C’était un acte politique. Ainsi, Balzac, Zola, Flaubert et bien d’autres parlaient de la misère qui les entoure, des problèmes politiques, de castes et des passions humaines sans complaisance. Avec une volonté d’objectivation.
La littérature avant eux n’était-elle pas « crédible » ou vraisemblable ?
La richesse, la sobriété et la ressemblance avec une conception agnostique de la réalité, car c’est là il me semble ce qu’on appelle « réalisme » quand on parle d’univers de fiction a-t-elle plus de valeur qu’une conception onirique, surréaliste et métaphysique ? Est-elle plus tangible ? Y « croit »-on davantage ? Ne peut-on pas créer une logique extrêmement forte dans la structuration d’un univers, si celui ci est fantaisiste , qu’il en devient comparable au nôtre ? Même l’absurde fonctionne selon des principes logiques.
La majeure partie du temps, quand on utilise le mot réalisme, ne veut-on pas parler en fait de crédibilité, ou de tangibilité ?
Un ami prenait comme exemple d’univers réaliste Agone. On m’a également cité Pavillon Noir, prétextant que Renaud Maroy y expliquait que le supplice de la planche était une invention Hollywoodienne. Que cela n’existait pas dans la piraterie. Et là, on touche finalement à la dimension documentaire des JDR historiques. Un de mes professeurs disait que les films d’époque renseignaient toujours davantage sur l’époque à laquelle ils avaient été faits que l’époque qu’ils voulaient dépeindre. L’histoire est objectivante, mais des joueurs occidentaux contemporains s’impliqueront plus facilement dans un moyen-âge où ils pourront faire des choix moraux en phase avec leurs valeurs d’êtres humains du XXIe siècle, qu’un moyen-âge historique dans lequel les valeurs à défendre ne seront pas les leurs, voire leur seront difficiles à comprendre.
Donc…
Je pense que c’est la pertinence de la logique de sa conception qui rend une fiction « crédible ». Pas la quantité de détails ni la proximité avec notre vision de la vie. Patient 13 possède un univers extrêmement surréaliste, cela n’empêche pas les joueurs de s’impliquer et d’y « croire ». Prosopopée propose une sorte de liberté narrative onirique extrême aux joueurs et pourtant, le « droit au rêve » (The right to dream, cf. le Provisional Glossary) y est rarement brisé.
Mis à part dans son acception artistique, je propose de remplacer le terme réalisme par crédibilité, ou tangibilité afin de bien distinguer ses deux sens.
3. Le réalisme et le système
C’est dans cette étrange association que le fourvoiement me semble le plus significatif : « système réaliste ». On repère parfois des aberrations dans certaines règles de jeux, par exemple, les fameuses tables de localisation des dégâts.
Joueur : « je me mets en garde et je frappe l’orc à mains nues »
MJ, lance son dé : « tu le touches au pied droit ».
On peut imaginer que le personnage trébuche et une fois à terre lui donne un coup de poing dans le pied… Ayant pratiqué quelques arts martiaux durant quelques années, je dois dire que je n’ai jamais vu personne frapper le pied de l’autre avec son poing. Il y a peut être des techniques, mais il faut avouer que c’est difficile à légitimer. Au final, cela brise notre « suspension of disbelief » (soit, le fait que l’on suspende, que l’on mette de côté notre incrédulité face à ce qui est narré, pour s’y impliquer, s’immerger dans la fiction).
On dit d’un système qu’il est réaliste, quand il est létal, par opposition aux systèmes de jeu dans lesquels on peut encaisser 5 balles dans le corps et survivre ou prendre une balle dans la tête et continuer de se battre. Bon, il y a une différence de partis pris, certes, mais elle est esthétique : il s’agit d’un canon différent. Les films de James Bond sont-ils moins crédibles que la série Hercule Poirot ? Si on meurt moins facilement, on prendra plus de risques et on tendra à une ambiance plus fantastique. Mais pourquoi en terme d’univers on se refuserait à opposer fantastique et réaliste alors qu’on le fait allègrement pour le système ?
Autre problème, majeur celui-là : comment peut-on estimer que quelque modélisation que ce soit ne simplifie pas les connaissances même les plus objectivantes que l’on a du monde ?
Il est impossible de prendre en compte les données physiques d’une balle qui rebondit en JDR. Les calculs pour parvenir à décrire sa trajectoire, la résistance de l’air, la déformation de son rebond et l’influence que cela peut avoir sur sa direction (etc.) si on voulait les prendre en compte de manière rigoureuse, simuler une partie de tennis deviendrait une horrible usine à gaz dans un JDR. Donc pour que ça reste jouable parce qu’appréhendable par des cerveaux humains, on simplifie et surtout on laisse les cerveaux humains faire ce qu’ils savent bien faire : des approximation, des interprétations.
Dans certains jeux, la localisation des dégâts se fait de la manière suivante : plus les dégâts sont élevés, plus cela signifie que l’on a atteint une partie sensible. c’est ce qu’on appelle la justification a posteriori. Ses avantages sont indéniables : ils évitent toutes les aberrations des règles de simulation en faisant confiance à la créativité des joueurs (MJ inclus), plutôt que de rajouter des conditions du type : si on utilise une arme courte, en fonction de la posture du personnage et de son adversaire, on se réfère à une autre table… (De cette manière, on ne fait que repousser le problème et compliquer terriblement les techniques de jeu pour des actions simples.)
Je recommande la lecture de cet article de Christopher Kubasik : http://ptgptb.free.fr/rpgnet/toolkit1.htm
Il y expose une critique pertinente des règles de simulation (cherchant à modéliser la réalité) face à celles plus narratives, concevant le JDR comme une histoire, une fiction.
Autre exemple avec les caractéristiques. Pour beaucoup, les caractéristiques sont un mélange de potentiels d’action définissant les domaines où le personnage est avantagé et ceux où il l’est moins. Les caractéristiques comprennent souvent également des ressources pour sa résistance et parfois des données supplémentaires (comme l’éducation dans l’Appel de Cthulhu).
Dans beaucoup de JDR, on considère que les caractéristiques sont la part innée de ces potentiels, quand le reste du contenu de la fiche de personnage serait l’acquis (compétences, talents etc.).
Je prends donc l’exemple d’un rôliste fictif qui créerait un jeu de rôle en se posant la question de « comment c’est dans la réalité ».
Il commence par se dire qu’il y a au moins deux champs : le physique et le psychique. Il peut aussi distinguer le social, ou l’intégrer au psychisme… Mais quelqu’un qui est très fort n’est pas forcément rapide. Quelqu’un de très érudit n’a pas forcément une bonne mémoire, ou un bon sens de la logique. Quelqu’un qui a beaucoup de charisme n’a pas forcément un bon sens des relations humaines ou de l’empathie.
Oh, mais tiens, l’érudition, c’est de l’acquis ou de l’inné et l’intelligence, ça recouvre quoi exactement ?
Et puis on peut être fort sans être résistant physiquement. Puis le personnage a aussi une plus ou moins bonne manière d’appréhender son environnement. La perception fait son entrée. Et alors là grand débat : la perception, est-ce le bon fonctionnement des organes sensoriels de l’individu ? Ou est-ce plus que ça ? Après tout, un peintre hollandais voit-il une montagne comme un Sherpa la voit ? Bien sûr que non et ce, même s’ils ont tous les deux 10/10 à chaque œil. Mais quelqu’un qui a l’œil perçant peut être sourd ! Il faut alors distinguer chaque sens ! Et la force, on peut avoir les bras plus développé que les jambes. On peut aussi ne pas être fort ni rapide, mais souple, ce qui aide aux acrobaties, par exemple. Et la dextérité manuelle ? Il n’y a besoin ni d’être rapide ni fort ni souple pour faire tourner un stylo au dessus de son pouce ou faire passer une pièce de monnaie entre ses phalanges… On a déjà force, rapidité, souplesse, dextérité manuelle, vue, goût, ouïe, odorat, toucher, connaissances, logique, mémoire, auxquels on peut ajouter charisme, empathie, constitution, taille, volonté, astuce etc.
Pensons également que le physique idéal pour un rugbyman (et ça dépend quel poste) ne permet pas de faire avec autant d’efficacité les mouvements d’un basketteur. Et bien souvent, pas dans le sens du développement psychologique du personnage, on a un ensemble de données qui ne nous renseignent que sur les capacités techniques du personnage. Et que fait-on des excellents musiciens qui sont presque sourds ? Des fabuleux photographes qui n’ont aucun sens de l’observation pour repérer un danger ? Ou encore d’un sniper qui ne remarque pas quand sa femme est allée chez le coiffeur ?
Donc on va compenser l’impossibilité pour ce système de caractéristiques de nous offrir une modélisation satisfaisante en terme de simulation, par des compétences, par exemple.
Et pareil, en partant dans une logique exhaustive, on se heurte à des problèmes ludiques : on met un temps fou à assimiler les spécificités de chaque caractéristique tant il y en a et selon les situations abordées pendant les parties jouées, un pourcentage énorme de compétences ou de caractéristiques ne sera jamais utilisé. Du coup, le joueur qui en a l’habitude finit par discriminer ce qui ne sert à rien quand il sait le genre de scénarios qui seront joués.
Les créateurs de jeu s’étant bien rendus compte que leurs besoins de réalisme ne seront jamais assouvi ils se contentent de simplifier. 6 caractéristiques suffisent, après tout, on peut dire qu’il s’agit forcément d’une représentation réductrice des potentiels du personnage, mais en réalité, cette démarche reste vouée à un double écueil : elle ne satisfait pas la logique dans laquelle elle est crée et elle n’est pas satisfaisante en terme de game play, car elle rend certains choix toujours plus pertinents que d’autres. Réfléchissez-y : faites-vous autant de jets d’agilité que de perception ? Le bonus de force compense-t-il la faible utilisation de cette caractéristique ? Ne vaut-il pas mieux mettre tous ses points en éducation vu que ça détermine le nombre de points de compétences qui sont utilisées la majeure partie du temps ?
C’est une règle en game design de jeu vidéo comme dans tous les autres jeux : un joueur qui repère une technique plus avantageuse que les autres finira par ne plus utiliser que celle-ci. L’introduction du « puits » dans le chifoumi déséquilibre complètement le jeu. Quand un choix est meilleur que les autres au niveau ludique, c’est le principe même de choix qui est invalidé. Dans le JDR, on s’en est longtemps contenté faute de mieux.
Certaines logiques de modélisation des caractéristiques s’avèrent au final plus satisfaisantes en termes d’expérience de jeu, car elles cherchent simplement à établir les champs d’action qui seront utiles dans les situations que proposent le jeu. Je pense notamment à Dogs in the vineyard qui propose comme caractéristiques : cœur, corps, acuité et volonté. Les caractéristiques couplées seront utilisées comme suit :
-
cœur + acuité = actions conflictuelles non physiques
-
corps + cœur = actions conflictuelles physiques non violentes
-
corps+volonté = combat à mains nues ou avec des armes blanches ou contondantes
-
acuité+volonté = tir à l’arme à feu
Bien sûr, ça ressemble beaucoup dans les dénominations à certaines caractéristiques listées plus haut, mais en réalité, c’est dans la façon qu’elles sont utilisées qu’elles tranchent avec la logique réaliste. Les champs d’action sont balisés selon les situations que le jeu jugent importantes en regard de la globalité de son game design, du coup, les caractéristiques qui sont plus développées par le joueur seront celles qu’il utilisera le plus. Il ne s’agit plus de contraindre des champs d’action (le voleur sait désamorcer les pièges, mais n’est pas bon au combat, donc il s’emmerde pendant ceux-ci, le courtisan aussi, mais c’est le guerrier et le voleur qui se font chier pendant les intrigues de court, sauf les séquences baston pour l’un et inflitration pour l’autre…) mais bel et bien d’offrir au joueur de choisir la façon dont il va régler les situations problématiques. Tentera-t-il de tout régler en discutant ou d’user de la force ?
Ainsi, comme on ne recherche plus à couvrir de manière exhaustive l’ensemble des potentialités, on peut se recentrer sur ce qui est important pour une partie de ce jeu. La logique fictionnelle accepte la non-exhaustivité et en fait même le cœur de son fonctionnement : une caméra ne nous montre que ce que le réalisateur veut nous montrer. Le hors champ devient suggestif et indispensable.
Bien sûr, Dogs in the Vineyard accepte qu’il ne soit pas intéressant de jouer avec son système de règles une expédition archéologique pulp en égypte. D’autres jeux le feront bien mieux et c’est très bien comme ça.
D’autres exemples :
Sens hexalogie possède une modélisation atypique : les caractéristiques sont 6, opposées deux à deux : vie/mort, création/néant, ordre/chaos.
La vie définit aussi bien la capacité du personnage à survivre, que de protéger la vie. Le chaos est utile quand le personnage cherche à être imprévisible, en mouvement etc.
La modélisation ne cherche plus à simuler la réalité empirique, mais utilise des concepts, dont la logique interne est nettement plus satisfaisante en jeu.
Enfin, pour créer un jeu de rôle Harry potter, j’ai décidé de concevoir le système de règles dédié dans une logique d’adaptation de roman. Je me suis posé la question : « qu’est-ce qui est primordial dans ces livres, qu’est-ce qui est central pour les personnages principaux ? » Et j’en ai tiré une série de valeurs :
Liens affectifs, réussite scolaire, popularité et la dichotomie bien/mal.
Et j’en ai fait 5 caractéristiques. Quand les joueurs sont en conflit, c’est à eux de choisir la caractéristique qu’ils utilisent en justifiant leur choix par les actes pensées et paroles de leurs personnages. Alors on peut dire : oui, mais comment savoir si ton personnage est bon aux échecs ou au football ? Et bien on n’en fera une épreuve que s’il y a un enjeu pour l’histoire. C’est cela la logique fictionnelle. Autrement, le joueur peut très bien décider que son personnage gagne une partie. Si ce n’est pas important pour l’histoire, si ça ne confère pas de récompense dans le jeu, on ne s’en soucie pas plus que ça. Ça n’est qu’un détail esthétique, voire cosmétique. Si en revanche, sa scolarité, ses amis, sa notoriété ou la domination du bien ou du mal sont en jeu, là un conflit sera intéressant à jouer et les caractéristiques entreront en jeu naturellement.
Nombre d’autres jeux apportent une utilisation intéressante des caractéristiques (je pense notamment à Sorcerer et Elfs de Ron Edwards).
Non, les points de vie ne sont pas réalistes. Non, ne pas prendre en compte la psychologie dans un combat ou dans une épreuve physique n’est pas réaliste : les sportifs savent à quel point le « mental » (comme ils disent) peut faire varier considérablement leurs performances.
Ces habitudes sont un héritage des wargames dont le JDR s’est inspiré à ses débuts. Mais ce genre de modélisations technicistes font mauvais ménage avec la fiction rôliste,. Mais plus encore, bien souvent, dans les jeux conçus de cette manière, quand le système chiffré entre en jeu, la fiction s’arrête, ce qui n’est pas le cas dans un jeu comme Dogs in the Vineyard ou Polaris, Chivalric Tragedy at the Utmost North. Les deux sont imbriqués et interdépendants, car agir pour une conviction et être avantagé par son histoire, ça confère aux parties une saveur toute particulière., bien plus riche que de comparer des pourcentages de maîtrise en fabrication de parchemins ou en réparation de charrettes. C’est aussi ça la logique fictionnelle.
Un système est une modélisation, une vision de la réalité. Si le JDR est appréhendé comme une fiction, il acceptera de ne plus être exhaustif, car par définition la fiction est incomplète, elle choisit et se focalise sur ce qu’elle veut aborder. Le JDR se recentrera sur ce qui importe, ce qu’il veut mettre en relief. Dans Psychodrame, je peux frapper mon interlocuteur d’un coup de poing. Mais les effets mécaniques ne s’intéresseront qu’aux conséquences psychologiques de l’acte : cela va-t-il le mettre en colère, faire baisser l’autre dans son estime ? Le conforter dans l’idée qu’il ne vaut rien ? Accroître son sentiment de faiblesse ? Et cela fonctionne d’autant mieux que ces conséquences sont soumises à interprétation par les joueurs et les incite à faire des liens de causalité entre les évènements de la fiction, les actes des personnages et leurs intentions, leur caractère. Mettre le jugement des choix des autres au cœur du système, c’est aussi considérer qu’on joue avec du matériau fictionnel.
D’autres jeux comme Nobilis ou Sens fonctionnent sur des modélisations différentes de la physique et sans doute plus propices à la conception de systèmes de jeu de rôle. Car les métaphysiques dont ces jeux s’inspirent offrent une conception moins techniciste ou physicaliste : le premier s’inspire de mythologies nordiques et médiévales, le second des théories du philosophe Ludwig Wittgenstein, rapprochant la structure du monde avec le langage.
Conclusion
En terme de système, le réalisme n’existe pas, car la nécessité de simplification pour rendre le jeu sinon fluide, au moins jouable, l’exclut d’emblée. Il reste deux choix : s’entêter à modéliser vos règles en référence à la « réalité » ou accepter le fait que le JDR n’est qu’une fiction où les possibilités deviennent infinies parce que soumises à des logiques qui ne sont pas inféodées à des jeux de causes et de conséquences prédéterminés, mais à l’interprétation des faits par les participants.
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Je travaille un peu là-dessus en ce moment. C’est intéressant, et je suis d’accord avec l’ensemble (hormis quelques petits détails, peu importants, ici). La notion de crédibilité ou de tangibilité est bien relevée. Il faudrait y ajouter la notion de causalité, qu’utilisait Edwards à propos du simulationnisme. A titre personnel, je me dis que l’enchaînement des causes n’est pas maîtrisable dans un souci de réalisme (terme ici compris comme « causalité respectée selon le paradigme du monde ») ; il faut agir à partir de lignes directrices (qu’on soit PNJ ou PJ), et si on peine à voir immédiatement la logique d’interaction entre des événements et qu’il y a risque de rupture de l’esthétique paradigmatique du monde, il faut procéder à rebours : « qu’est-ce qui a motivé son geste ? ». La question n’est pas « qu’aurait-il du faire pour être plus dans cette esthétique ? » mais plutôt « en quoi ce geste parle-t-il du paradigme du monde ? ». La notion de paradigme m’apparaît à ce titre fondamentale, elle est le corollaire du mot « réel » : est « réel » ce qui advient, certes, mais est « réaliste » ce qui se coordonne au paradigme du monde, à son modèle fictionnel. Or, justement, je pense que tout système abstrait, chiffré, est dysfonctionnel vis-à-vis de cet enjeu, parce que le système devient modélisation, et systématisation, de sorte qu’il n’est pas production d’un réel concret mais construction d’un idéal abstrait (réel vs idéal, concret vs abstrait). Il me semble donc que le mot réalisme doit en effet être oublié dans le sens où on l’entend quand on regarde un film, mais peut être conservé (ou changé) pour penser cet enjeu fictionnel : construire une réalité dans laquelle le paradigme est respecté et a sa propre cohérence, ce qui suppose de travailler sur des personnages à partir de « faits » (quel est son désir ? en quoi ses gestes intègrent-ils le paradigme du monde ?). Sans doute cet enjeu est-il un corollaire d’une approche simulationniste : on explore une réalité cohérente avec cohérence, on y « cohère », on s’attache à ne pas « décohérer », et tout la narrativité se met au service de la couleur du monde et de son modèle de construction. Je réfléchis…
Je rajoute une remarque que je viens de lire sur le fil de Edwards à propos du Simulationnisme ; sa remarque est trop vague,et son concept de « plausibilité » est insuffisant, mais il remarque rapidement l’évidence : The third problem is the Realism tautology: setting « realism » as a goal of play, which often gets brought up in debates about in-game events. Never fall into this one – you cannot win. Plausibility, which is to say, not violating a specific degree of contrivance-limits, is a fine thing; it’s central to the role-playing element of Situation. All role-playing requires whatever degree of plausibility is necessary to support the respective GNS goal. Reinforcing it can be a valid feature of some Simulationist play and design (just as of some Narrativist and some Gamist play), when that matters for specific goals for that play. But to reverse it, to claim that the play itself exists at the service of the « realism » among the components of the game, is madness, especially for Simulationist play – such a statement presents a quagmire of debate much like « balance » or « story. »
Hey, j’aime beaucoup ta réflexion.
Notamment l’idée que dans une pratique simulationniste, chaque geste doit être jugé à l’aune de sa résonance avec le paradigme.
Ron Edwards parle aussi de jouer avec l’élasticité du canon fictionnel : pousser les limites, sans jamais passer du mauvais côté.
J’ajouterais que le paradigme comprend également le genre fictionnel. Je ne parle pas de Soap ou de Space Opera, mais de certaines logiques structurelles propres à certains types de fictions, comme « on sait si le protagoniste gagnera à la fin » ou « l’antagoniste s’échappe et on le retrouvera à la fin » ou « malgré des situations désespérées, le héros s’en sortira toujours », etc. Qui peuvent sortir de l’univers fictionnel pur, pour intégrer des éléments dramaturgiques externes. C’est quelque chose de très important quand on aborde le simulationnisme.
Dernier point : il existe des jeux qui laissent très peu de place à la créativité des joueurs (je pense notamment à certains jeux qui se veulent historiquement rigoureux) et d’autres qui leur laissent une grande marge de manœuvre (Prosopopée est un exemple extrême, mais pas le seul). Je pense que garantir une forte cohérence paradigmatique ne signifie pas tout verrouiller en amont. EN tout cas, je n’ai jamais autant pris plaisir en sim qu’en ayant une vraie marge de manœuvre créative (même en tradi).
Et oui, j’aime beaucoup ce passage dans l’article de Ron Edwards ! (parmi tant d’autres). :)
Ce que j’en retiens, c’est que chaque démarche nécessite une recherche d’une vraie plausibilité pour fonctionner.
Tu écris : « chaque démarche nécessite une recherche d’une vraie plausibilité pour fonctionner. »
Tu veux dire « chaque démarche simulationniste nécessite une recherche d’une vraie plausibilité pour fonctionner dans une construction simulationniste » ?
Non, je comprends le narrativisme et le ludisme dans le lot.
La plausibilité (on utilise plutôt crédibilité, je ne sais pas si c’est une évolution de The Forge ou juste une question de traduction) est aussi nécessaire à ces modes. Elle peut avoir des enjeux différents, mais tous ces modes sont des histoires, avec des structures différentes, et des propositions manquant de consistance sont toujours un frein à la qualité de l’implication des joueurs. La suspension d’incrédulité existe dans tous les modes.
On a une vision du ludisme basée sur D&D, mais d’une part, c’est un jeu qui n’est pas systématiquement joué by the book, et en plus, il est possible de jouer ludiste en abordant des thématiques complexes et de n’avoir jamais de conflits où on se contente de lancer les dés en annonçant le score, sans implication dans la fiction. Monostatos en est un parfait exemple. Du coup l’histoire compte, et la crédibilité devient nécessaire. Mais c’est comme ça que tout jeu soutenant une démarche ludiste devrait être considéré (enfin, sauf les thématiques complexes, qui ne sont pas un prérequis).