Le JDR est-il une forme d’art ?

Nous avons tenté de déblayer le terrain lors d’un podcast endiablé avec Nicolas et Cyril Vaidis, fondateurs de l’AJRAR, Gaël Sacré, Fabien Hildwein et Raphaël, sans compter l’animateur du podcast : Romaric Briand !

Un sujet complexe pour un podcast vitaminé :

Télécharger le quatrième podcast Hors série sur le blog de la Cellule.

 

Potentialité : État de ce qui existe en puissance.1

Beaucoup considèrent que dans une partie de JDR, le MJ a le contrôle sur l’histoire tandis que les joueurs ont le contrôle des personnages principaux de cette histoire. Ce qui est aberrant si l’on en croit l’idée aristotélicienne qu’une histoire est conduite par les actes des personnages sur lesquels elle se centre.

Sur The Forge2 ils appellent ça « le truc impossible avant le petit dèj’3 ».

Ce que je crois, c’est que la plus grande force du jeu de rôle par rapport aux autres formes de fictions, c’est que c’est la seule à permettre une réponse à tous les choix envisageable par le joueur. Ceci, parce que les réponses sont formulées par des êtres humains, doués d’imagination.

Seulement, il faut que ce qui se passe soit passionnant, sinon, à quoi bon passer notre temps à suspendre notre incrédulité4 pour des choses qui ne seraient pas dignes de susciter notre intérêt ?

J’ai beaucoup travaillé autour de la synergie narrative sans scénario pré-écrit, qui m’a fait prendre conscience que certaines formes de préparation pouvaient créer une dynamique créative durant les parties alors que d’autres l’entravaient.

Penser le cadre

Nos références en matière d’histoires sont linéaires. Même les jeux vidéo narratifs sont des œuvres finies, offrant généralement peu de créativité au joueur, mais plutôt des choix pré-établis (sauf cas particuliers).

Nous allons donc naturellement construire des histoires en les préparant, pour avoir plus de temps pour réfléchir à ce qui va les composer. Le résultat est généralement plus gratifiant que de se lancer en improvisation totale, devant l’infini des possibilités.

Mais en fait, les possibilités ne sont pas réellement infinies. Selon de nombreux modèles, il n’existe en réalité qu’un nombre défini d’histoires et d’intrigues.

36 pour Georges Polti

20 pour Ronald B. Tobias

7 pour Jessamyn West

3 pour Harris Foster, toutes liées par un principe fondamental : le conflit5

Décortiquer la structure d’une histoire, ses fondements, les thématiques, c’est autant de bonnes manières de construire un cadre. Si je sais le type d’histoires que je veux aborder, je vais déjà pouvoir rejeter tout ce qui n’en fait pas partie. Une vengeance façon film d’arts martiaux hong-kongais ? Une romance truculente et torturée ? Une quête de rédemption ?

Tout est possible en jeu de rôle, mais peu de formes d’histoires sont en réalité explorées. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que peu de créateurs de jeu considèrent la part de l’improvisation6 et surtout, la construction d’outils pour l’aider, en dehors de contenu figé.

Je n’aime pas trop le terme d’improvisation qui suppose des talents particuliers et des années de travail, j’utiliserai plutôt celui de création au pied levé : les choses imaginées, inventées et proposées durant la partie.

Voici les prémices d’une réflexion engagée à partir d’expériences de parties et de créations.

Tout ce qui est préparé et qui contraint ou interdit les choix ou actions du joueur pourtant viables pour la forme d’histoire convenue avec les joueurs est à proscrire. C’est une rupture de l’intérêt fondamental du jeu de rôle : la malléabilité du matériau fictionnel.

L’échelle créative

Je vais définir 4 natures de choses que les scénaristes de JDR prévoient à l’avance.

Pour un MJ, plus les éléments de préparation correspondent aux types supérieurs, plus il bride l’inventivité des joueurs, (car il risque d’avantage d’entrer en conflit avec elle) mais moins il a besoin de faire de création au pied levé.

Plus les éléments de préparation correspondent aux types inférieurs, moins il bride l’inventivité des joueurs, mais plus il a besoin de faire de création au pied levé. Imaginez que ces 4 points s’additionnent et se superposent.

4. Actes des PJ

3. Solutions fixes

2. Géographie et temporalité fixes

1. Contenu dynamique

4. Actes des PJ

Entrent dans cette catégorie les prévisions de prise de contrôle pure et simple des PJ :

« PJ 1 tombe amoureux de PNJ 2 » ; « Les PJ fuient devant le monstre » ; « PJ 3 perd temporairement la raison à la tombée de la nuit, il agresse ses camarades » ; « les maffieux surgissent et un combat s’engage »…

Hormis quelques formes d’évènements inconscients ou magiques, la prise de contrôle temporaire d’un PJ par le MJ ou par un autre joueur est une violation de la propriété du joueur. Cela n’est acceptable que par l’entremise de règles du jeu impartiales, offrant une possibilité de résistance au joueur. Que se passe-t-il si le joueur dit : « Non, c’est mon personnage et il ne fait pas ce que tu dis. » ? Il serait pourtant dans son bon droit. On lui donne un personnage en lui disant « c’est le tien » mais on s’arroge le droit d’en prendre le contrôle ponctuellement ? Cette technique est à proscrire vivement pour éviter de briser tout sentiment de liberté chez le joueur.

Cette pratique me semble plutôt rare, il s’agit souvent plutôt de tentatives de rattraper le scénario de la part du MJ que d’une volonté de nuire, ou bien de reproduire les scènes d’un film en oubliant que le joueur a son mot à dire sur les actions de son personnage, voire un flou dans le contrat de jeu.

3. Solutions fixes

Il s’agira de prévoir à l’avance des comportements conformes de la part des joueurs et d’autres indésirables. Ce qui signifie que tant que les joueurs ne donnent pas au meneur ce qui a été prévu par lui ou par le scénariste (s’ils sont distincts), les joueurs ne peuvent pas progresser dans l’intrigue. Par exemple :

« Les PJ doivent vaincre le monstre pour retrouver le sceptre volé » ; « Les PJ doivent réussir un jet de perception pour éviter le piège » ; « Les PJ doivent dire « Youploplo Guilbiramissou por favor » au clochard pour qu’il leur donne la clef de l’appartement de la victime7 » ; « Il ne faut pas être trop direct avec PNJ7, car il est craintif et il ne révèlera ce qu’il sait que si les PJ sont prévenants »…

Plus fréquents, ces éléments scénaristiques visent à créer des enjeux autour de scènes qui ne présentent pas de potentialités rôlistiques intéressantes, car il s’agit de surmonter des épreuves obligatoires. Des énigmes, des PNJ capricieux, voilà de quoi mettre la partie en berne tandis que les joueurs se creusent la cervelle en espérant que le scénariste n’a pas inventé une énigme trop difficile pour eux.

Ne prévoyez pas à l’avance les solutions aux problèmes. N’inventez pas de problèmes qui bloquent l’histoire tant que les joueurs ne les surmontent pas.

2. Géographie et temporalité fixes

Ce point définit deux cas de figure qui peuvent bien entendu se côtoyer :

Dans le premier cas, le meneur ou le scénariste auront déterminé des lieux de passage obligatoires, dans le deuxième cas, des évènements doivent se succéder dans un ordre prévu à l’avance et impliquant les PJ, mais au degré inférieur à 3. et 4. Il s’agit moins de solutions obligatoires que de chemins qu’il vaut mieux emprunter, sans quoi on rate un bout important du « scénario » :

« Le big boss se trouve dans l’église » ; « L’otage est dans le bunker sur la plage » ; « Le mur du fond de la cabane est couvert de symboles cabalistiques permettant d’ invoquer un famélique de la nuit » ;

« Quand les PJ dorment, leur guide s’enfuit… il revient à la scène 6 avec des soldats ennemis » ; « Scène deux, on leur donne un pendentif… scène 4 le pendentif essaye d’étrangler son porteur »…

Le problème des lieux fixes, c’est que les joueurs peuvent passer à côté, jetant à la poubelle des heures de travail pour le scénariste. Le problème des évènements prévus à l’avance, c ‘est qu’il est toujours possible qu’ils ne puissent pas arriver.

Plus vous structurez une cohérence forte entre ces éléments de votre scénario et plus vous rendez difficile la préservation de cette cohérence en cas d’imprévu.

Un « scénario » est un découpage d’une histoire par scènes. Je vous propose d’abandonner cette logique pour adopter une logique de potentialités (voir chapitre suivant).

1. Contenu dynamique

Il s’agit d’éléments préparés dont l’implication dans l’histoire ne présume pas de choix des joueurs.

« Révélations indépendantes des situations et des actes des PJ. » ; « Personnages ayant des buts à accomplir en opposition avec d’autres » ; « liens entre les personnages ».

Au lieu d’éléments figés que le MJ cherchera à introduire dans l’histoire malgré les choix des joueurs, il s’agit d’éléments qui génèrent une dynamique d’histoire sans pour autant prévoir à l’avance comment l’histoire va se dérouler. C’est une aide à la création au pied levé, plutôt qu’une contrainte.

Cela suffit à générer une histoire. Mais il est important de comprendre comment le contenu dynamique stimule la génération de potentialités. Il faut tisser une situation initiale qui va amener un problème. L’ensemble des personnages et révélations préparés augmenteront les enjeux autour de ce problème.

Les joueurs devront se positionner face à une situation qui soulève un ou plusieurs problèmes. Des vies en danger ? Des liens en danger ? Par ex : une amitié en péril, des valeurs ébranlées, un objet de valeur menacé d’être volé, ou tout simplement dérobé…

Le problème doit être évident et impliquer les personnages par leur rôle (si ce sont des justiciers, la loi ou le bien doivent être bafoués ou menacés de l’être). La question, c’est « comment allez-vous agir ? » ou « pourquoi allez vous agir ? » Tous les éléments que le MJ a en main doivent être souples, interchangeables. Une fois que les PJ se sont positionnés, le MJ utilisera tout ce qu’il a sous la main pour générer des rencontres. Selon les choix des joueurs, des conflits éclateront, des alliances se déclareront, des obstacles se dessineront.

Ne les prévoyez pas à l’avance, contentez-vous d’établir toutes les factions et leurs positionnements face aux problèmes : ceux qui en sont responsables, ceux qui en sont victimes… Laissez les joueurs faire leurs choix sans les prévoir à l’avance. Ce que vous devez prévoir, ce sont par exemple les « bangs » (terme provenant de The Forge) :

« The Technique of introducing events into the game which make a thematically-significant or at least evocative choice necessary for a player.8 »

« La Technique d’introduction d’évènements dans le jeu, produisant une thématique significative ou amenant au moins des choix évocateurs nécessaires pour le joueur. » (Traduction de l’auteur)

Et les lieux dans tout ça ?

Il est préférable de préparer des descriptions globales de lieux, sans en définir les moindres détails. Mais aucun lieu n’est obligatoire dans l’histoire. Il ne s’agit que de matière que le MJ pourra exploiter selon son inspiration. D’où l’idée de ne pas passer trop de temps sur ces descriptions, car leur utilisation n’est que potentielle. D’où, également, l’importance que les lieux ne soient que du décor et que rien d’indispensable n’y soit attaché.

Évitez à tout prix les labyrinthes, car errer sans fin dans des couloirs qui se ressemblent, ça n’a rien de fun dans une histoire.

Et le rythme ?

L’important est d’amener des enjeux. Si vous avez l’impression que la situation est molle, qu’il ne se passe rien, posez-vous les questions suivantes :

  • Quel est le danger ?

  • Quel est l’enjeu ? (ce qu’on risque de gagner ou perdre)

  • Quel est le risque ?

  • Que voulez-vous accomplir ?9

Si vous vous rendez compte que vous ne pouvez pas répondre à ces questions, c’est qu’il est temps d’amener un danger, un enjeu, un risque ou un accomplissement à vos joueurs.

Oui, mais ça limite le type d’histoires que l’on peut jouer ?

Tout ce qui ne relève pas de la préparation du meneur incombe aux joueurs. C’est le système qui le leur offrira, via des règles incitatives, un champ d’expression orienté vers le type d’histoire qui vous intéressent10. Mais c’est un autre sujet.

3Voir traduction de l’article de Joseph Young : http://ptgptb.free.fr/0027/th101-2.htm

5Voir : The « Basic » plots in literature : http://www.ipl.org/div/farq/plotFARQ.html

6Vous trouverez des outils et réflexions au sujet de l’improvisation dans l’article Techniques d’improvisation pour rôlistes : http://ptgptb.free.fr/daedalus/impro.htm

7Ces exemples sont tirés d’expériences vécues et sont à peine caricaturaux.

9Cf. chapitre « Practical Conflict Resolution Advice » : http://www.lumpley.com/hardcore.html

 

Limbic Systems et d’autres membres de silentdrift seront présents à cette convention :

Pour la 3e année consécutive, la Guilde, association de jeux de rôle sur Poitiers, vous invite aux

24 heures du jeu de rôle

les 29 et 30 Mai 2010.

Image

Au programme : du jeu de rôle, du jeu de rôle, et (encore) du jeu de rôle !
Mais aussi :

  • une grande partie de Loups garous de Thiercelieux
  • un multi-tables
  • des parties courtes d’initiation/découverte, au jeu de rôle ou à un univers en particulier
  • en continu sur le week end : un killer, pour tous les volontaires

La Guilde étant attachée à la créativité et à la diversité dans le jeu de rôles, le jeu de rôle indépendant et amateur tiendra une grande place dans les parties proposées, avec notamment :

  • Romaric Briand (Sens)
  • Fabien Hildwein (Monostatos)
  • Frédéric Sintès (Démiurges, Psychodrame, Prosopopée)
  • Sébastien Maitrehenry (Irania)
  • l’AJRAR (Mytheologia, Médor, Préhystérique, Bibracte & Intrépides Gentilshommes Martiens)

Ainsi que nombreux jeux de rôle amateurs, créés par les membres de la Guilde, de tous les genres ou presque : Diamond dogs, Emotions, Entomo, Eventia, MMFAM, Mon jouet-mon héros, Terremer, Super héros, …

La convention est ouverte à tous : aux curieux souhaitant découvrir le jeu de rôle, aux vétérans en quête de nouvelles expériences, aux créateurs de jeux de rôle voulant faire connaître leurs oeuvres etc. …, le tout dans un esprit bon enfant de découverte et de partage.

Plus d’informations à venir !

Pour nous contacter :

laguilde.poitiers@gmail.com

ou sur notre forum : http://laguilde.dyndns.org/forum/index.php

 

Ce projet est un mélange de plusieurs idées et envies :

  • Offrir un max de créativité aux joueurs avant et pendant la partie : point de « races » dans ce jeu, mais une organisation par familles : l’humanité porte dans sa chair les traces d’une union interdite. Certain individus possèdent du sang de démon leur offrant des particularités physiques extraordinaires. Le joueur peut jouer un simple humain (la magie est accessible à tous), ou il peut inventer les particularités de sa lignée. S’il veut jouer un homme de grande noblesse, tout en finesse aux oreilles pointues en symbiose avec la nature, il le peut. S’il veut jouer un homme à la peau rouge, à quatre bras et aux canines démesurées, il le peut également.
    Pendant la partie, les joueurs doivent rivaliser d’imagination pour utiliser les atouts qu’ils auront inventé. Réutiliser ses atouts de la même manière offre un avantage à l’adversaire, il est donc indispensable de varier leur utilisation. Retourner la narration contre l’adversaire offre un bonus, mais il est interdit de réutiliser deux fois le même. Les joueurs sont donc incités à se dépasser pour augmenter leurs chances de succès
  • Un univers typé mais souple (en cours de réflexion).
  • Un MJ qui défend sa machination contre les PJ, mais qui est soumis à quelques règles pour ne pas être le seul à s’amuser.
  • Le MJ n’a pas besoin de préparer ses PNJ, il joue avec un niveau de difficulté qui lui confère des dés à opposer aux PJ.
  • Le système de conflits propose plusieurs approches tactiques, le joueur devra faire les bons choix pour optimiser ses chances de succès, mais cela est indissociable de narrations imaginatives.

Vous pouvez télécharger la version d’essai ici :
Règles du jeu PDF
Règles du jeu ODT (avec annotations)
Fiche de Héros
Fiche de MJ
Un premier scénar : L’améthyste de Durain
Schéma explicatif des principes de gestion et de mise de dés

Le jeu est encore en phase de test, donc tout retour me sera précieux.

 

Et à présent, voici l’ashcan de Prosopopée.

Il s’agit d’une version test du jeu. Mon objectif est de récolter des retours de parties-test afin de pouvoir améliorer le jeu jusqu’à sa version finale avant publication.

Téléchargez l’ashcan de Prosopopée

 

Je tenais à promouvoir les deux nouvelles œuvres du sieur Romaric Briand, mon cher collègue.

Sens, c’est d’abord une claque métaphysique du genre de celles que l’on a tous pris avec le premier épisode de Matrix. D’étranges objets appelés « runes » ont été découverts. Des scientifiques comprennent que lues par des ordinateurs, ces deux runes décrivent la marche du monde. Il est donc possible d’obtenir une connaissance sans faille des évènements passés et présents. Une controverse a lieu : Myphos Quadria veut révéler au monde que la liberté n’existe pas : toute l’existence est écrite à l’avance dans ces runes. Soren Sollipsis s’y oppose, considérant qu’il est nécessaire d’ignorer de telles choses.

Mais un jour, des « bugs » naissent : des enfants dont les runes n’ont pas prévu la naissance. Alors que l’empire érigé par Myphos Quadria domine la galaxie, un nouvel espoir naît en ces enfants que la résistance parvient à trouver , et avant que l’empire contre-attaque, ils parviennent à les utiliser pour devenir invisibles à Myphos. Car les actes entrepris par et pour ces bugs déjouent les prédictions des ordinateurs…

Les bugs vont suivre un entraînement pour devenir des héros de la résistance en attendant le retour du Jedi (ouais, je savais pas comment la caser celle-là).

Le premier livre regroupe Sens Renaissance et son supplément : Ombre-monde. Le tout a été illustré et retravaillé.

Le second livre contient le tome 2 : Sens Mort. L’aventure se poursuit en prenant un tournant inattendu, révélations à la clef, je n’en dis pas plus…

http://sens.hexalogie.free.fr/web_acappella1/crbst_5.html

 

Dans la catégorie théorie forgienne francophone, voici le blog Comme un Roman, l’association :

http://cur-asso.dyndns.org/portail/

Vous y trouverez déjà deux pages bien remplies de traductions d’articles théoriques de Ben Lehman (Polaris, chivalric tragedy at the utmost north) et Vincent Baker (Dogs in the Vineyard, In a Wicked Age…). Certains concepts du big model sont décortiqués, une vraie mine pour le game design rôliste.

(Attention, comme sur la plupart des blogs, il vaut mieux commencer par l’article le plus ancien et remonter vers le plus récent).

CuR-Asso, un blog à la liqueur d’orange.

 

Aujourd’hui, je vous propose un lien vers un document s’intitulant « Comment ça marche, le jeu de rôle ? »

http://www.silentdrift.net/articles/nancy_resume003.pdf

Le document en question est écrit par Christoph Boeckle, administrateur du forum silentdrift,  forum de créateurs de JDR et de discussions sur la pratique. Il est également auteur du jeu de rôle d’horreur métaphysique Innommable.

Le document présenté est le résumé d’une conférence donnée à Nancy lors de la convention des Joutes du Téméraire. Il explique et définit un certain nombre de concepts fondamentaux de la théorie rôliste, issus pour beaucoup de la communauté anglophone The Forge.

Le fait de choisir ce document n’est pas un hasard, Christoph Boeckle a répondu pendant 4 ans à mon insatiable curiosité, en me faisant découvrir des JDR incroyables qui ont révolutionné ma conception de cette activité et en m’enseignant les principes et réflexions qui ont rendu ces jeux possibles.

 

Voici en avant première l’illustration pour l’affiche de la prochaine convention de la Guilde à Poitiers : les 24h du JDR.

 

Nombre de rôlistes ne jure que par le sacro-saint réalisme.

C’est une idée qui n’apporte que peu de choses au JDR voire qui sème une véritable confusion.

1. Le réalisme est subjectif

On entend beaucoup parler de réalisme en regard d’un système et de la cohérence d’un univers : quand les éléments qui les constituent s’apparentent à la compréhension que l’on a du monde qui nous entoure. Cette compréhension passe aujourd’hui par les sciences principalement.

Or, imaginez des grecs dans l’antiquité jouant au JDR. Leur vision du monde n’avait que peu à voir avec celle d’un citadin occidental de nos jours. Les dieux étaient à l’origine de nombre de phénomènes qu’ils ne soumettaient pas à l’analyse. La superstition dominait en partie les mentalités. De même au moyen-âge, à tel point que la conception même des fictions en a été changée depuis lors : Un intervention divine (Deus ex machina) chez Sophocle ou Molière, c’était tout à fait cohérent et satisfaisant pour un spectateur de l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’explication de la grâce divine n’est plus satisfaisante, car notre conception de la réalité à changé. Qu’est-ce qui nous dit que notre conception de la physique aujourd’hui sera toujours jugée cohérente dans 50 ans ? De plus, même de nos jours, entre un catholique, un bouddhiste et un scientiste, il y a peu de chances que la représentation et la compréhension du monde soit la même.

Donc réaliste veut-il dire : « conforme à la représentation de la réalité des joueurs compte tenu de leur époque et de leurs croyances ? »

Ou peut-être simplement ce qui est suffisamment crédible pour que l’implication du joueur dans la partie se fasse sans effort ?

Je pense qu’entre le réalisme du système et le réalisme de la fiction, il y a deux problèmes différents, je vais donc les aborder séparément :

2. Le réalisme et la fiction

Dans l’histoire de l’art, en littérature ou en peinture, on a parlé de réalisme à partir du moment où les artistes et auteurs ont décidé de s’opposer à la vieille idée que seuls les nobles et les sujets religieux méritaient d’être représentés. Ils ont commencé à dépeindre la vie des gens du peuple sans complaisance, sans idéalisation. C’était un acte politique. Ainsi, Balzac, Zola, Flaubert et bien d’autres parlaient de la misère qui les entoure, des problèmes politiques, de castes et des passions humaines sans complaisance. Avec une volonté d’objectivation.

La littérature avant eux n’était-elle pas « crédible » ou vraisemblable ?

La richesse, la sobriété et la ressemblance avec une conception agnostique de la réalité, car c’est là il me semble ce qu’on appelle « réalisme » quand on parle d’univers de fiction a-t-elle plus de valeur qu’une conception onirique, surréaliste et métaphysique ? Est-elle plus tangible ? Y « croit »-on davantage ? Ne peut-on pas créer une logique extrêmement forte dans la structuration d’un univers, si celui ci est fantaisiste , qu’il en devient comparable au nôtre ? Même l’absurde fonctionne selon des principes logiques.

La majeure partie du temps, quand on utilise le mot réalisme, ne veut-on pas parler en fait de crédibilité, ou de tangibilité ?

Un ami prenait comme exemple d’univers réaliste Agone. On m’a également cité Pavillon Noir, prétextant que Renaud Maroy y expliquait que le supplice de la planche était une invention Hollywoodienne. Que cela n’existait pas dans la piraterie. Et là, on touche finalement à la dimension documentaire des JDR historiques. Un de mes professeurs disait que les films d’époque renseignaient toujours davantage sur l’époque à laquelle ils avaient été faits que l’époque qu’ils voulaient dépeindre. L’histoire est objectivante, mais des joueurs occidentaux contemporains s’impliqueront plus facilement dans un moyen-âge où ils pourront faire des choix moraux en phase avec leurs valeurs d’êtres humains du XXIe siècle, qu’un moyen-âge historique dans lequel les valeurs à défendre ne seront pas les leurs, voire leur seront difficiles à comprendre.

Donc…

Je pense que c’est la pertinence de la logique de sa conception qui rend une fiction « crédible ». Pas la quantité de détails ni la proximité avec notre vision de la vie. Patient 13 possède un univers extrêmement surréaliste, cela n’empêche pas les joueurs de s’impliquer et d’y « croire ». Prosopopée propose une sorte de liberté narrative onirique extrême aux joueurs et pourtant, le « droit au rêve » (The right to dream, cf. le Provisional Glossary) y est rarement brisé.

Mis à part dans son acception artistique, je propose de remplacer le terme réalisme par crédibilité, ou tangibilité afin de bien distinguer ses deux sens.

3. Le réalisme et le système

C’est dans cette étrange association que le fourvoiement me semble le plus significatif : « système réaliste ». On repère parfois des aberrations dans certaines règles de jeux, par exemple, les fameuses tables de localisation des dégâts.

Joueur : « je me mets en garde et je frappe l’orc  à mains nues »

MJ, lance son dé : « tu le touches au pied droit ».

On peut imaginer que le personnage trébuche et une fois à terre lui donne un coup de poing dans le pied… Ayant pratiqué quelques arts martiaux durant quelques années, je dois dire que je n’ai jamais vu personne frapper le pied de l’autre avec son poing. Il y a peut être des techniques, mais il faut avouer que c’est difficile à légitimer. Au final, cela brise notre « suspension of disbelief » (soit, le fait que l’on suspende, que l’on mette de côté notre incrédulité face à ce qui est narré, pour s’y impliquer, s’immerger dans la fiction).

On dit d’un système qu’il est réaliste, quand il est létal, par opposition aux systèmes de jeu dans lesquels on peut encaisser 5 balles dans le corps et survivre ou prendre une balle dans la tête et continuer de se battre. Bon, il y a une différence de partis pris, certes, mais elle est esthétique : il s’agit d’un canon différent. Les films de James Bond sont-ils moins crédibles que la série Hercule Poirot ? Si on meurt moins facilement, on prendra plus de risques et on tendra à une ambiance plus fantastique. Mais pourquoi en terme d’univers on se refuserait à opposer fantastique et réaliste alors qu’on le fait allègrement pour le système ?

Autre problème, majeur celui-là : comment peut-on estimer que quelque modélisation que ce soit ne simplifie pas les connaissances même les plus objectivantes que l’on a du monde ?

Il est impossible de prendre en compte les données physiques d’une balle qui rebondit en JDR. Les calculs pour parvenir à décrire sa trajectoire, la résistance de l’air, la déformation de son rebond et l’influence que cela peut avoir sur sa direction (etc.) si on voulait les prendre en compte de manière rigoureuse, simuler une partie de tennis deviendrait une horrible usine à gaz dans un JDR. Donc pour que ça reste jouable parce qu’appréhendable par des cerveaux humains, on simplifie et surtout on laisse les cerveaux humains faire ce qu’ils savent bien faire : des approximation, des interprétations.

Dans certains jeux, la localisation des dégâts se fait de la manière suivante : plus les dégâts sont élevés, plus cela signifie que l’on a atteint une partie sensible. c’est ce qu’on appelle la justification a posteriori. Ses avantages sont indéniables : ils évitent toutes les aberrations des règles de simulation en faisant confiance à la créativité des joueurs (MJ inclus), plutôt que de rajouter des conditions du type : si on utilise une arme courte, en fonction de la posture du personnage et de son adversaire, on se réfère à une autre table… (De cette manière, on ne fait que repousser le problème et compliquer terriblement les techniques de jeu pour des actions simples.)

Je recommande la lecture de cet article de Christopher Kubasik : http://ptgptb.free.fr/rpgnet/toolkit1.htm

Il y expose une critique pertinente des règles de simulation (cherchant à modéliser la réalité) face à celles plus narratives, concevant le JDR comme une histoire, une fiction.

Autre exemple avec les caractéristiques. Pour beaucoup, les caractéristiques sont un mélange de potentiels d’action définissant les domaines où le personnage est avantagé et ceux où il l’est moins. Les caractéristiques comprennent souvent également des ressources pour sa résistance et parfois des données supplémentaires (comme l’éducation dans l’Appel de Cthulhu).

Dans beaucoup de JDR, on considère que les caractéristiques sont la part innée de ces potentiels, quand le reste du contenu de la fiche de personnage serait l’acquis (compétences, talents etc.).

Je prends donc l’exemple d’un rôliste fictif qui créerait un jeu de rôle en se posant la question de « comment c’est dans la réalité ».

Il commence par se dire qu’il y a au moins deux champs : le physique et le psychique. Il peut aussi distinguer le social, ou l’intégrer au psychisme… Mais quelqu’un qui est très fort n’est pas forcément rapide. Quelqu’un de très érudit n’a pas forcément une bonne mémoire, ou un bon sens de la logique. Quelqu’un qui a beaucoup de charisme n’a pas forcément un bon sens des relations humaines ou de l’empathie.

Oh, mais tiens, l’érudition, c’est de l’acquis ou de l’inné et l’intelligence, ça recouvre quoi exactement ?

Et puis on peut être fort sans être résistant physiquement. Puis le personnage a aussi une plus ou moins bonne manière d’appréhender son environnement. La perception fait son entrée. Et alors là grand débat : la perception, est-ce le bon fonctionnement des organes sensoriels de l’individu ? Ou est-ce plus que ça ? Après tout, un peintre hollandais voit-il une montagne comme un Sherpa la voit ? Bien sûr que non et ce, même s’ils ont tous les deux 10/10 à chaque œil. Mais quelqu’un qui a l’œil perçant peut être sourd ! Il faut alors distinguer chaque sens ! Et la force, on peut avoir les bras plus développé que les jambes. On peut aussi ne pas être fort ni rapide, mais souple, ce qui aide aux acrobaties, par exemple. Et la dextérité manuelle ? Il n’y a besoin ni d’être rapide ni fort ni souple pour faire tourner un stylo au dessus de son pouce ou faire passer une pièce de monnaie entre ses phalanges… On a déjà force, rapidité, souplesse, dextérité manuelle, vue, goût, ouïe, odorat, toucher, connaissances, logique, mémoire, auxquels on peut ajouter charisme, empathie, constitution, taille, volonté, astuce etc.

Pensons également que le physique idéal pour un rugbyman (et ça dépend quel poste) ne permet pas de faire avec autant d’efficacité les mouvements d’un basketteur. Et bien souvent, pas dans le sens du développement psychologique du personnage, on a un ensemble de données qui ne nous renseignent que sur les capacités techniques du personnage. Et que fait-on des excellents musiciens qui sont presque sourds ? Des fabuleux photographes qui n’ont aucun sens de l’observation pour repérer un danger ? Ou encore d’un sniper qui ne remarque pas quand sa femme est allée chez le coiffeur ?

Donc on va compenser l’impossibilité pour ce système de caractéristiques de nous offrir une modélisation satisfaisante en terme de simulation, par des compétences, par exemple.

Et pareil, en partant dans une logique exhaustive, on se heurte à des problèmes ludiques : on met un temps fou à assimiler les spécificités de chaque caractéristique tant il y en a et selon les situations abordées pendant les parties jouées, un pourcentage énorme de compétences ou de caractéristiques ne sera jamais utilisé. Du coup, le joueur qui en a l’habitude finit par discriminer ce qui ne sert à rien quand il sait le genre de scénarios qui seront joués.

Les créateurs de jeu s’étant bien rendus compte que leurs besoins de réalisme ne seront jamais assouvi ils se contentent de simplifier. 6 caractéristiques suffisent, après tout, on peut dire qu’il s’agit forcément d’une représentation réductrice des potentiels du personnage, mais en réalité, cette démarche reste vouée à un double écueil : elle ne satisfait pas la logique dans laquelle elle est crée et elle n’est pas satisfaisante en terme de game play, car elle rend certains choix toujours plus pertinents que d’autres. Réfléchissez-y : faites-vous autant de jets d’agilité que de perception ? Le bonus de force compense-t-il la faible utilisation de cette caractéristique ? Ne vaut-il pas mieux mettre tous ses points en éducation vu que ça détermine le nombre de points de compétences qui sont utilisées la majeure partie du temps ?

C’est une règle en game design de jeu vidéo comme dans tous les autres jeux : un joueur qui repère une technique plus avantageuse que les autres finira par ne plus utiliser que celle-ci. L’introduction du « puits » dans le chifoumi déséquilibre complètement le jeu. Quand un choix est meilleur que les autres au niveau ludique, c’est le principe même de choix qui est invalidé. Dans le JDR, on s’en est longtemps contenté faute de mieux.

Certaines logiques de modélisation des caractéristiques s’avèrent au final plus satisfaisantes en termes d’expérience de jeu, car elles cherchent simplement à établir les champs d’action qui seront utiles dans les situations que proposent le jeu. Je pense notamment à Dogs in the vineyard qui propose comme caractéristiques : cœur, corps, acuité et volonté. Les caractéristiques couplées seront utilisées comme suit :

  • cœur + acuité = actions conflictuelles non physiques

  • corps + cœur = actions conflictuelles physiques non violentes

  • corps+volonté = combat à mains nues ou avec des armes blanches ou contondantes

  • acuité+volonté = tir à l’arme à feu

Bien sûr, ça ressemble beaucoup dans les dénominations à certaines caractéristiques listées plus haut, mais en réalité, c’est dans la façon qu’elles sont utilisées qu’elles tranchent avec la logique réaliste. Les champs d’action sont balisés selon les situations que le jeu jugent importantes en regard de la globalité de son game design, du coup, les caractéristiques qui sont plus développées par le joueur seront celles qu’il utilisera le plus. Il ne s’agit plus de contraindre des champs d’action (le voleur sait désamorcer les pièges, mais n’est pas bon au combat, donc il s’emmerde pendant ceux-ci, le courtisan aussi, mais c’est le guerrier et le voleur qui se font chier pendant les intrigues de court, sauf les séquences baston pour l’un et inflitration pour l’autre…) mais bel et bien d’offrir au joueur de choisir la façon dont il va régler les situations problématiques. Tentera-t-il de tout régler en discutant ou d’user de la force ?

Ainsi, comme on ne recherche plus à couvrir de manière exhaustive l’ensemble des potentialités, on peut se recentrer sur ce qui est important pour une partie de ce jeu. La logique fictionnelle accepte la non-exhaustivité et en fait même le cœur de son fonctionnement : une caméra ne nous montre que ce que le réalisateur veut nous montrer. Le hors champ devient suggestif et indispensable.

Bien sûr, Dogs in the Vineyard accepte qu’il ne soit pas intéressant de jouer avec son système de règles une expédition archéologique pulp en égypte. D’autres jeux le feront bien mieux et c’est très bien comme ça.

D’autres exemples :

Sens hexalogie possède une modélisation atypique : les caractéristiques sont 6, opposées deux à deux : vie/mort, création/néant, ordre/chaos.

La vie définit aussi bien la capacité du personnage à survivre, que de protéger la vie. Le chaos est utile quand le personnage cherche à être imprévisible, en mouvement etc.

La modélisation ne cherche plus à simuler la réalité empirique, mais utilise des concepts, dont la logique interne est nettement plus satisfaisante en jeu.

Enfin, pour créer un jeu de rôle Harry potter, j’ai décidé de concevoir le système de règles dédié dans une logique d’adaptation de roman. Je me suis posé la question : « qu’est-ce qui est primordial dans ces livres, qu’est-ce qui est central pour les personnages principaux ? » Et j’en ai tiré une série de valeurs :

Liens affectifs, réussite scolaire, popularité et la dichotomie bien/mal.

Et j’en ai fait 5 caractéristiques. Quand les joueurs sont en conflit, c’est à eux de choisir  la caractéristique qu’ils utilisent en justifiant leur choix par les actes pensées et paroles de leurs personnages. Alors on peut dire : oui, mais comment savoir si ton personnage est bon aux échecs ou au football ? Et bien on n’en fera une épreuve que s’il y a un enjeu pour l’histoire. C’est cela la logique fictionnelle. Autrement, le joueur peut très bien décider que son personnage gagne une partie. Si ce n’est pas important pour l’histoire, si ça ne confère pas de récompense dans le jeu, on ne s’en soucie pas plus que ça. Ça n’est qu’un détail esthétique, voire cosmétique. Si en revanche, sa scolarité, ses amis, sa notoriété ou la domination du bien ou du mal sont en jeu, là un conflit sera intéressant à jouer et les caractéristiques entreront en jeu naturellement.

Nombre d’autres jeux apportent une utilisation intéressante des caractéristiques (je pense notamment à Sorcerer et Elfs de Ron Edwards).

Non, les points de vie ne sont pas réalistes. Non, ne pas prendre en compte la psychologie dans un combat ou dans une épreuve physique n’est pas réaliste : les sportifs savent à quel point le « mental » (comme ils disent) peut faire varier considérablement leurs performances.

Ces habitudes sont un héritage des wargames dont le JDR s’est inspiré à ses débuts. Mais ce genre de modélisations technicistes font mauvais ménage avec la fiction rôliste,. Mais plus encore, bien souvent, dans les jeux conçus de cette manière, quand le système chiffré  entre en jeu, la fiction s’arrête, ce qui n’est pas le cas dans un jeu comme Dogs in the Vineyard ou Polaris, Chivalric Tragedy at the Utmost North. Les deux sont imbriqués et interdépendants, car agir pour une conviction et être avantagé par son histoire, ça confère aux parties une saveur toute particulière., bien plus riche que de comparer des pourcentages de maîtrise en fabrication de parchemins ou en réparation de charrettes. C’est aussi ça la logique fictionnelle.

Un système est une modélisation, une vision de la réalité. Si le JDR est appréhendé comme une fiction, il acceptera de ne plus être exhaustif, car par définition la fiction est incomplète, elle choisit et se focalise sur ce qu’elle veut aborder. Le JDR se recentrera sur ce qui importe, ce qu’il veut mettre en relief. Dans Psychodrame, je peux frapper mon interlocuteur d’un coup de poing. Mais les effets mécaniques ne s’intéresseront qu’aux conséquences psychologiques de l’acte : cela va-t-il le mettre en colère, faire baisser l’autre dans son estime ? Le conforter dans l’idée qu’il ne vaut rien ? Accroître son sentiment de faiblesse ? Et cela fonctionne d’autant mieux que ces conséquences sont soumises à interprétation par les joueurs et les incite à faire des liens de causalité entre les évènements de la fiction, les actes des personnages et leurs intentions, leur caractère. Mettre le jugement des choix des autres au cœur du système, c’est aussi considérer qu’on joue avec du matériau fictionnel.

D’autres jeux comme Nobilis ou Sens fonctionnent sur des modélisations différentes de la physique et sans doute plus propices à la conception de systèmes de jeu de rôle. Car les métaphysiques dont ces jeux s’inspirent offrent une conception moins techniciste ou physicaliste : le premier s’inspire de mythologies nordiques et médiévales, le second des théories du philosophe Ludwig Wittgenstein, rapprochant la structure du monde avec le langage.

Conclusion

En terme de système, le réalisme n’existe pas, car la nécessité de simplification pour rendre le jeu sinon fluide, au moins jouable, l’exclut d’emblée. Il reste deux choix : s’entêter à modéliser vos règles en référence à la « réalité » ou accepter le fait que le JDR n’est qu’une fiction où les possibilités deviennent infinies parce que soumises à des logiques qui ne sont pas inféodées à des jeux de causes et de conséquences prédéterminés, mais à l’interprétation des faits par les participants.