Mélanie m’a demandé après une partie des Cordes Sensibles :

Quel plaisir doit-on retirer à jouer à LCS selon toi ?

Je vous copie ici ma réponse en l’étayant.

1) Le choix

Le premier plaisir que l’on rencontre est celui d’être mis face à des choix moraux. Généralement, la charge émotionnelle tend à être forte à cet endroit.

Par exemple : dois-je protéger ma sœur au risque qu’elle ne m’aime plus ?

2) La résistance asymétrique

Le choix n’est possible que parce qu’au moins un autre participant cadre une scène en y posant un enjeu en lien avec le personnage.

La résistance asymétrique est ici de trois ordres :

  • La Confrontation : plusieurs participants veulent des choses contradictoires ;
  • La Négociation et le Chantage : celui ou ceux qui jouent l’adversité doivent mettre en balance plusieurs choses importantes pour le personnage, sachant que si le joueur choisit d’en sauver un, il perdra l’autre.
  • La Sympathie et l’antipathie : en développant l’histoire du personnage et ses raisons d’agir, un participant cherche à déclencher la sympathie ou l’antipathie pour son personnage auprès des autres participants. Ceux-ci peuvent le manifester par de la reconnaissance (verbale ou non verbale), mais aussi en récompensant d’un don de cartes pendant qu’un Conflit se joue.

Le fait de pouvoir faire éprouver au joueur des émotions est en soi un vecteur de plaisir pour celui ou ceux qui jouent l’adversité.

3) Les conséquences

Un choix moral ne vaut que parce qu’il produit des conséquences.

Le participant qui est en charge de narrer le résultat d’un Conflit entreprend de déclarer les conséquences immédiates.

Celui qui définit les Retombées établit les conséquences psychologiques du Conflit sur les personnages qui l’ont joué ; cela permet également de marquer l’évolution du personnage au fil de l’histoire.

Celui qui cadre une des prochaines scènes concernant ce personnage pourra mettre en scène des conséquences à moyen ou long terme découlant d’un Conflit, ou simplement d’actions précédentes.

Le plaisir d’éprouver les conséquences de ces choix réside dans la possibilité d’obtenir le résultat escompté ou de le voir nous échapper ; être pire ou meilleur que celui escompté. Ceci est un autre vecteur d’émotions essentiel.

4) Le jugement

Chaque participant en vient à confronter les valeurs de chaque personnage aux siennes. Plus particulièrement son propre protagoniste, mais ce n’est pas le seul.

Nous pourrions faire faire à un personnage quelque chose que nous ne ferions jamais. Le décalage entre sa morale et la notre est également un vecteur d’émotions parfois exprimé sous forme d’un jugement de valeur.

Le jugement est important car il est le témoin du bon fonctionnement des autres points.

5) Éprouver sa créativité

En mettant en scène une situation, en prêtant un discours à un personnage, en décrivant le décor, les individus, les actes des personnages, en faisant émerger des enjeux, Les Cordes Sensibles nous invite à éprouver notre créativité. Dans les grandes lignes comme dans les détails.

Les espaces de créativité fournis aux participants leurs permettent d’avoir leur mot à dire sur l’évolution de l’histoire, des personnages et du contexte.

L’ensemble des points développés ci-dessus est contenu dans celui-ci. Une bonne créativité catalyse l’intensité de la partie dans son ensemble.

Je viens de décrire la démarche créative des Cordes Sensibles. Bien sûr, on pourrait jouer le jeu en prenant son plaisir tout à fait autrement, mais dans ce cas, on n’utiliserait pas le jeu pour ce qu’il a été fait.

Bonjour à tous,

suite à la fermeture de The Forge et à l’annonce de Vincent Baker qu’il allait mettre un terme à la période forgéenne de sa théorie, je vous propose de faire un petit bilan concernant les démarches créatives et le GNS.

Si vous avez des questions à poser ou des commentaires à faire, n’hésitez pas à les poser ici.

 

Aujourd’hui, je vous propose un exemple d’application de partage de narration.

Dans Prosopopée, on joue des sages, des vagabonds, voyageant de village en village pour aider les humains à résoudre leurs problèmes avec la nature et le surnaturel.

Les Pj sont censés comprendre le fonctionnement du monde mieux que quiconque, voire, posséder une science des esprits, des choses invisibles etc.

J’avais deux choix : écrire une encyclopédie et laisser les joueurs se perdre dedans à chaque fois qu’un problème se présente à eux, ou alors laisser les joueurs inventer les solutions aux problèmes.

En laissant les joueurs inventer les solutions, on évite toute lourdeur lors des résolutions d’action, les personnages donnent l’impression de posséder toutes sortes de connaissances lorsque les joueurs inventent des remèdes, des théories, des solutions pour rééquilibrer le monde.

Exemple : presque tous les habitants du village sont endormis, il s’agit d’un problème de difficulté 4.

Joueur A réunit ses dés et raconte que dans les marécages à côté, une fleur produit un pollen, parfois utilisé pour ses vertus médicinales. « À trop forte dose, ce pollen devient un puissant soporifique. Je prépare un antidote que j’administre aux villageois. » (Joueur A lance les dés, c’est un succès, il raconte le résultat de son action) « Quand les villageois sont réveillés, je leur explique qu’il suffit de prendre cet antidote quotidiennement pour ne plus succomber au sommeil. Prenez-le tôt dans la journée pour ne pas subir d’insomnies. »

C’est une solution élégante, économique et du plus bel effet pour les jeux de rôle où les PJ sont censés connaître le monde et ne pas être des ignorants, si vous ne voulez pas faire lire une encyclopédie aux joueurs, voire la leur faire apprendre par cœur.

Le partage de narration a également d’autres vertus, notamment pour permettre à un personnage possédant des talents exceptionnels de préserver une image de héros puissant même dans la défaite.

Avec un peu de retard, voici la revue de Prosopopée par le Scriptorium Ludique et c’est une joie pour moi de voir que non seulement le jeu lui a plu, mais qu’en plus il en a compris le cœur !

Cliquez ici pour la lire.

 

Suite à l’article de Romaric au sujet du « narrativisme », je vous propose une courte définition de mon cru (courte car il faudrait un essai complet pour en faire le tour), synthétisée après de nombreuses lectures de Ron Edwards, Vincent Baker, Eero Tuovinen, Ben Lehman, Christoph Boeckle etc.

Le narrativisme est une manière de prendre plaisir durant une partie de JDR impliquant que tous les participants acceptent de pratiquer la même démarche (sans quoi, pas de narrativisme).

Une démarche narrativiste signifie tirer son plaisir pendant la partie des positionnements pris par les joueurs concernant la fiction et des conséquences (toujours fictives) qui en découlent.
On y compare les valeurs d’un personnage, exprimées par ses actes, aux nôtres (comme on le ferait avec certains films et certains romans, BD etc.).

Pour favoriser cette manière de jouer, on aura besoin de situations où aucun choix n’est, dans l’absolu, meilleur qu’un autre et que l’histoire ne soit pas complètement écrite à l’avance, pour permettre d’explorer les conséquences des choix des joueurs (ce que l’on appelle « story now »).

Le fait que les conséquences des actes des personnages ne soient pas prévues permet de donner du poids au sens qu’ils vont prendre pendant la partie, puisque le joueur était libre de choisir telle ou telle issue. Par ex : le joueur choisit de sauver son frère au lieu de le punir pour ses péchés (situation type de Dogs in the vineyard*), nous avons à présent tout l’espace nécessaire pour voir si le frère ne va pas sombrer dans une déchéance pire que ce que le châtiment des PJ aurait pu produire, et se demander : n’aurait-il pas mieux valu le mettre en prison comme le proposait un autre joueur ? Oui, mais qu’aurais-je pensé de mon personnage si j’avais fait ce choix ? Et comment l’aurais-je pris si cela m’arrivait à moi-même, dans la vraie vie ?

* Je tiens à préciser qu’il ne s’agit que d’un exemple qui ne saurait tenir compte du vaste champ d’histoires jouables dans cette démarche créative. Le nombre d’histoires possibles et de choix à portée morale est immense et tout à fait insoupçonnable.

Les conflits sont les nœuds d’une partie narrativiste car ils sont les moments charnières entre le positionnement (comment je choisis de faire agir mon personnage) et les conséquences des actes.

Un jeu qui cherche à soutenir une telle démarche devra permettre de créer des situations posant des choix de ce type, proposant des mécaniques de résolution confrontant les joueurs aux choix moraux. Enfin, le jeu doit faire en sorte que le déroulement de l’histoire ne soit pas complètement prévu à l’avance.

***

Cette explication m’est imputable en grande partie, tout comme ses éventuelles approximations.

Toute question est bienvenue.

Bonjour, voici un index de tous les articles postés depuis le début de ce blog.
Un grand merci à Fabien pour son travail de relecture et de conseil depuis fin 2012.

Création de jeux

Réflexions de fond

Pratique

Parler de JDR

 

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Qui est en charge de l’adversité dans votre jeu ?

Cette question est de première importance pour la conception de vos jeux (dès lors que vous souhaitez sortir des schémas traditionnels).

Voici les quelques règles à prendre en compte :

  • jouer un personnage et son adversité en même temps, c’est ennuyeux (c’est ce que l’on appelle « principe de Czege », énoncé par Paul Czege sur The Forge et qui revient régulièrement dans les discussions) ;
  • cela signifie que vous aurez, dans la majorité des cas, besoin de différencier les rôles des participants, de façon à ce que certains jouent l’adversité pendant d’autres jouent les protagonistes ;
  • l’adversité nécessite toujours un minimum de préparation, que ce soit par les buts ou les problèmes des personnages (cf. My Life with Master de Paul Czege), une situation de crise, une intrigue (cf. Dogs in the Vineyard, Innommable), voire, la structure-même de jeu (cf. Zombie Cinema) ;
  • l’adversité peut être centralisée sur un participant ou répartie sur plusieurs, c’est ce que nous allons creuser à présent.

Note : tous les schémas présentés ci-dessous peuvent fonctionner avec des rôles fixes ou par alternance.

a) Adversité centralisée

Un participant produit de l’adversité pour tous les autres. Dans beaucoup de JDR, les PJ peuvent s’affronter, mais ce n’est pas toujours l’un des buts du game design ; on peut également envisager que ce ne soit pas pris en compte ou encouragé par le jeu.

Rôles par alternance

D’une scène à l’autre ou à des moments clé, le participant produisant l’adversité échange son rôle avec un autre, le précédent joue alors un PJ créé à l’avance ou à la volée (cf. Monostatos, Innommable ou Gloria).

À noter que dans un jeu tel que Monostatos, chaque scène jouée est centrée sur un PJ ou sur le MJ ; les autres joueurs peuvent décider d’intégrer à tout moment leurs PJ dans la scène d’un autre ou bien aider aux descriptions du décor et des PNJ. Ils peuvent de cette manière contribuer à l’adversité. Si tel est le cas, on permute vers un schéma de type c).

b) Adversité inter-PJ

 

L’adversité inter-PJ possède une structure similaire à l’adversité centralisée (a), à la différence que l’adversité entre PJ revêt une certaine importance dans la construction du jeu.

L’adversité inter PJ peut être un moteur du jeu (cf. Zombie Cinema) ou émergente (cf. Dogs in the Vineyard ou Poison’d).

Dans Zombie Cinema, un joueur cadre une scène problématique à tour de rôle. La progression des zombies est signifiée par un pion sur une sorte de « jeu de l’oie » qui menace à tout instant de rattraper les pions des joueurs. Pour avancer sur le plateau et donc se mettre hors de danger, les joueurs doivent jouer des conflits PJ à PJ. Ici l’adversité entre PJ est donc centrale.

Dans Dogs in the Vineyard, le MJ dresse une situation ambivalente où les PJ auront le même but : traquer le péché et rendre la justice, mais l’ambivalence des situations tend à amener fréquemment les PJ à des désaccords, elles sont faites en partie pour ça. Les mécaniques de résolution du jeu sont faites pour pouvoir gérer les conflits entre PJ.

c) Adversité centralisée + personnages neutres

 

Ce schéma centralise l’adversité sur un participant principal contre un protagoniste et offre à un ou plusieurs participants de jouer les électrons libres, c’est à dire de choisir de soutenir l’un ou l’autre des deux partis.

Par exemple : dans Polaris de Ben Lehman, le Cœur joue le protagoniste de l’histoire, le Fourvoyé joue l’antagoniste principal et les deux Lunes jouent des PNJ liés au protagoniste pouvant jouer plus ou moins avec ou contre le Cœur.

Dans les Cordes Sensibles, le Metteur en scène cadre une scène autour d’un Protagoniste (PJ) en y intégrant l’adversité. Les joueurs restant (s’il y en a), peuvent intégrer leurs PJ ou jouer des PNJ et soutenir le protagoniste ou le confronter.

Ces deux jeux échangent les rôles à chaque scène, chaque joueur peut être tour à tour protagoniste, adversaire principal ou personnage neutre.

On peut également envisager d’utiliser ce schéma sans alternance. Il est généralement utile pour développer des histoires centrées sur un seul protagoniste à la fois.

d) N opposants, N protagonistes

 

Vous pouvez bien sûr imaginer toutes sortes de configurations, 1 PJ et plusieurs MJ, plusieurs PJ et plusieurs MJ, jouant des adversités préparées ou émergentes. Vous pouvez également ajouter des personnages neutres à votre guise, toutes les configurations sont possibles.

Questions bienvenues.

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Je remarque que j’emploie souvent cette appellation et afin de dissiper tout malentendu, je voudrais expliciter ce que je mets derrière.

Un JDR classique est un jeu ou une pratique qui donne au MJ le dernier mot sur tout*.

Cela signifie qu’il est au dessus des règles du jeu, qu’il peut les ignorer, les modifier, en créer à loisir, que tout ce que disent les joueurs est soumis aux règles et l’est également au jugement du MJ.

Il décide s’il y a ou non une préparation de partie, quelle forme elle prend ; quels enjeux il soumet aux joueurs ; quelles sont les responsabilités de chacun ; quand on lance les dés ; il vérifie la validité des participations de chacun ; il juge la qualité des propositions des participants, etc.

Les jeux non classiques sont donc ceux qui placent les règles au dessus du MJ et les joueurs sur le même plan que le MJ voire, comme Innommable, soumettent le rôle de MJ à des règles.

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* J’emprunte cette définition à Vincent Baker, si vous souhaitez en lire plus, suivez ce lien (en anglais) : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=55

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Cet article complète l’article du 21 novembre 2011 À propos des mécaniques de résolution.

En JDR, les participants ont, au cours de l’évolution de l’histoire jouée, des désirs contradictoires autour de la table, par exemple : joueur A veut sauver PNJ1, tandis que le MJ veut lui mettre des obstacles et que joueur B préfèrerait d’abord combattre PNJ2. Ces oppositions sont nécessaires, c’est grâce à elles que l’on peut rencontrer la fameuse résistance asymétrique.

L’opposition est utile : c’est parce qu’un participant défend un cause et un autre une cause adverse que l’on crée de l’histoire et des enjeux. L’opposition entre participants (joueur/joueur ou joueur/MJ) est donc utile à l’évolution de l’histoire et de la partie à condition qu’elle soit dénuée de tensions entre les participants. Les règles du jeu permettent généralement d’éviter que les participants en opposition s’entêtent de façon stérile pour désigner le vainqueur dans chaque situation comme d’éviter que les décisions prises par le groupe ne paraissent injustes ou arbitraires.

On lance un dé, vous êtes départagés, explorons la prochaine situation. Le dé, comme la plupart des règles d’un jeu de rôle, aide à tirer le meilleur parti des oppositions en évitant les tensions entre individus.

Explications…

Pourquoi lancer un dé ? Pourquoi ne pas simplement laisser un arbitre décider qui gagne ?

Laisser un arbitre statuer sur qui remporte une opposition est partial et peut conduire les participants à légitimement négocier, remettre en cause le jugement, voire trouver ses propres actions vaines.

Les dés, comme les cartes et tout autre moyen d’obtenir de l’incertitude (jetons à miser secrètement, dépense tactique de points, chifoumi etc.) sont impartiaux et c’est ce qui fait leur intérêt dans le cas spécifique où vous devez départager deux participants face à des actions antagonistes.

Soyons clair, le MJ n’est dans la plupart des cas pas impartial, autant son jugement comme celui des joueurs entre eux peut être d’un grand intérêt pour le jeu quand il s’agit d’approuver le déroulement de la partie, autant il ne devrait pas statuer sur les oppositions entre participants pour deux raisons :

  • car il joue généralement lui-même l’adversité : dans ces conditions, il devient juge et partie et ce positionnement déclenche des injonctions contradictoires ;
  • car le jugement d’un tiers n’est pas neutre : un MJ, même s’il cherche une forme d’objectivité sera toujours biaisé dans son jugement par ses relations avec les autres participants, par son humeur, par le besoin de faire évoluer son scénario comme il le souhaite, arrivant, malgré la meilleure volonté du monde, à porter des jugements inéquitables.

Quand un joueur ressent de l’injustice dans le jugement du MJ, il ne peut plus jouer le jeu pleinement, car les règles ne lui permettent pas de savoir vraiment comment résoudre une opposition à son avantage. Quand cela arrive, le joueur risque de perdre le sentiment que ses actes ont de l’importance et une emprise sur l’évolution de la situation.

C’est là que le dé – ou n’importe quel élément pourvoyeur d’incertitude quant à l’issue de l’opposition – entre en scène : comme le résultat du dé n’est contrôlé par aucun participant, il est plus facile de s’en remettre à lui, dès lors que tous les participants se sont mis d’accord sur le fait que c’était ainsi qu’ils allaient résoudre les oppositions.

Le dé obtient une posture supérieure à celle du MJ et de tous les autres participants en matière de résolution des oppositions (en dehors de toute question de triche qui relève d’un problème de contrat social), le MJ ou l’animateur de la partie peut se concentrer sur ses autres tâches.

Le cas du MJ qui falsifie le résultat du dé derrière son écran pose la question de la transparence, j’y reviendrai dans un prochain article.

Le dé permet également de briser le consensus. Le consensus entre les participants sur la manière dont une opposition se résout est une entorse au principe de « résistance », fondamental au JDR : imaginez que vous jouez un combat contre des créatures, et là, un joueur dit : « je pense que les créatures devraient gagner, car elles sont plus nombreuses ! », un autre ajoute « oui, mais c’est un grand guerrier et aussi nombreuses soient-elles, il devrait pouvoir les repousser au moins… »

  • Dans le cas où les participants parviendraient à se mettre d’accord ainsi, la résistance disparaîtrait et l’histoire évoluerait de manière convenue, sans sel et sans surprises ;
  • dans le cas où les participants ne parviendraient pas à se mettre d’accord, l’opposition dans le jeu permuterait en un conflit entre les personnes réelles.

Voter pour désigner le vainqueur ?

Le vote crée de l’imprévu, mais reste partial, les participants voteront pour ce qui les arrange, non par soucis de neutralité. Quand vos partenaires ont voté pour une solution que vous trouvez mauvaise ou tout simplement dommage, la responsabilité en revient aux votants c’est pourquoi le vote ne canalise pas les frustrations.

Compensation par habitude

Il arrive cependant qu’avec l’habitude de jouer ensemble, des groupes connaissent si bien le fonctionnement de chacun qu’ils sachent ce qu’ils doivent faire pour obtenir une issue positive lors de débats et autres conflits sociaux par exemple. Dans ce cas, on finit par une résolution semi-consensuelle : les participants cherchent à se conformer à ce qui est attendu d’eux plutôt que de trouver des solutions créatives inattendues, de plus la résistance s’en trouve affaiblie.

Ok, mais le dé décide à notre place, est-ce mieux ?

En effet, le dé peut désengager le participant vis à vis de son résultat par absence de moyen de l’influencer. Dans ce cas, le jet de dé devient un piège à éviter pour les participants, au lieu de devenir un moteur à enjeux. Beaucoup de rôlistes jouent à « surtout contourner les épreuves pour ne pas subir le hasard ». Je suis même convaincu que la mystique rôliste autour des dés découle de ce pouvoir de décision aveugle auquel on se soumet.

En effet, le dé est impartial et produit de l’imprévu, mais si l’on n’a aucun moyen d’orienter ou influencer son résultat, on ne peut pas vraiment s’impliquer dans la réussite de son action, elle nous échappe tout autant que face à l’arbitraire du jugement d’un MJ (hormis qu’avec l’habitude, on peut trouver comment influencer le MJ à notre avantage, ce qui devient plus difficile avec un dé…). Les rôlistes qui limitent l’utilisation des dés ou qui s’en passent tout simplement ont bien perçu ce biais. Mais leurs partis pris ne résolvent pas le problème du jugement arbitraire.

Pour conserver l’aspect positif des dés et se défaire de ses aspects négatifs, il vous faut donner aux participants une emprise sur leur résultat, voici quelques exemples de comment procéder :

  • gérer une réserve de dés qui s’épuise au fil de la partie, ce qui peut créer un enjeu pour le joueur renforçant l’enjeu fictif (cf. The Pool) ;
  • gagner des bonus en utilisant correctement les ressources du personnage ou du décors (cf. D&D) ;
  • gérer des jauges pour pousser le joueur à évaluer ses prises de risque (cf. Monostatos) ;
  • tenter d’obtenir le soutien d’autres participants pour augmenter ses chances de réussite (cf. Zombie Cinema) auquel cas, le jugement d’un tiers peut être utilisé comme variable, mais non pour statuer purement et simplement ;
  • choisir entre atteindre son objectif ou éviter des conséquences néfastes dues à l’opposition (cf. Dogs in the Vineyard) ;
  • etc.

Par ces moyens, vous résoudrez les oppositions avec impartialité et en produisant de l’imprévu, mais en plus, le participant pourra influer sur ses chances de victoire en parfaite connaissance de cause du risque qu’il prend et/ou des choix qui sont à sa disposition. Le joueur devient actif plutôt que passif vis à vis du résultat de l’action et ça change tout.

Ainsi, le participant a une emprise sur l’histoire jouée, sans toutefois pouvoir être sûr de son résultat, il s’agit à mon sens du meilleur moyen de permettre aux joueurs de véritablement éprouver les oppositions et tous les enjeux auxquels font face leurs personnages.

Note : les conflits sociaux sont un cas particuliers, je reviendrai dessus dans un prochain article.

Fortune in the middle (FiTM) – fortune at the end (FaTE)

Ce sont deux principes utilisés sur The Forge, vous pourrez en trouver la définition dans le provisional glossary.

Ces principes expliquent que lorsqu’on utilise un élément pourvoyeur d’aléatoire pour résoudre une opposition, on peut le situer au milieu ou à la fin de la mécanique de résolution :

Fortune at the end : placer l’aléatoire comme une conclusion des actions et partis pris du personnages. Permet d’insister sur la manière dont les choses sont faites.

Exemple 1 : « je me place sur le promontoire rocheux, je lui décoche une flèche entre les deux yeux » [jet de dés : réussi] « La flèche se plante dans son crâne. »

[Jet de dés : raté] « la flèche passe au dessus de sa tête. »

Fortune in the middle : placer l’aléatoire comme une transition entre le pourquoi d’une action (son but réel) et ses conséquences. La manière dont le but est atteint devient une question esthétique.

Exemple 2 : « je me place sur le promontoire rocheux et je lui décoche une flèche entre les deux yeux pour effrayer ses camarades » [jet de dés : réussi] « La flèche se plante dans son crâne, ses camarades horrifiés battent en retraite. » (le texte souligné marque l’énonciation du but).

[Jet de dés : raté] « la flèche se plante dans son crâne, mais ses camarades te foncent dessus de rage. »

Le premier est souvent utilisé par les MJ qui veulent conserver un contrôle sur l’histoire. Si l’on prend l’exemple 2 : le but de la flèche est d’effrayer les camarades de l’adversaire. Avec un FaTE, même si l’action est réussie, rien ne dit que les adversaires doivent être effrayés.

Le second stimule d’importants changements au cours de l’histoire et permet au joueur d’avoir un contrôle sur l’évolution de ses objectifs. Si l’on prend l’exemple 2 quand le joueur rate son jet de dé, il peut manquer d’effrayer ses adversaires en réussissant tout de même son tir, ce qui permet d’éviter l’effet d’échec persistant.

Beaucoup de jeux mélangent les deux en jouant avant la résolution du but de la confrontation toute une série de jets de dés (ou éventuellement d’autres mouvements tactiques) pour résoudre plusieurs actions intermédiaires, ajoutant des enjeux secondaires avant la fin de la confrontation. Les jeux qui n’utilisent vraiment que le FaTE laissent en réalité le MJ décider ce qu’il advient du but sous-tendant l’action, souvent tacite.

Conclusion

Le dé (comme tout élément pourvoyeur d’incertitude) n’est pas fondamentalement un artefact « ludique » hérité des wargames et autres jeux de plateau, son but n’est pas forcément de créer de la tactique ou de la compétition, mais plutôt de statuer sereinement sur l’évolution de l’histoire tout en brisant les consensus, de trancher proprement les oppositions entre participants et d’impliquer les joueurs pleinement dans les enjeux qui sous-tendent leurs actions.

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J’ai eu l’honneur d’être interviewé par  SciFi Universe. J’y présente Prosopopée ainsi que mon point de vue sur le jeu de rôle dit « à partage de narration ». J’ai été bavard, fallait pas me lancer sur de tels sujets ! ^^

Lire l’interview

Fiche SFU de Prosopopée