Posts by: Frédéric Sintes

Salut à tous,
J’ai bien avancé dans la conception et l’écriture de Démiurges et je recherche à présent des testeurs qui endosseront le rôle de MJ pour ensuite me faire des retours.

Les démiurges sont des humains possédant des pouvoirs hermétiques : alchimie, arithmancie et psychométrie. L’alchimie consiste en la transmutation instantanée de la matière, l’arithmancie permet de contrôler les éléments et la psychométrie de lire et d’influencer la mémoire des objets et les pensées des êtres vivants. Les démiurges recherchent la pierre philosophale. Votre seule limite est votre imagination. Votre vécu et vos croyances seront-t-ils une force ou une entrave pour atteindre votre rêve d’absolu. Serez-vous un héros, un justicier, un apprenti sorcier ou un savant fou ? Quels sacrifices seront nécessaires ? Démiurges est un jeu de rôle centré sur les problématiques de la condition humaine et de la monstruosité.

Je vous propose une toute nouvelle version, l’ashcan n°3 (le n°2 n’a pas été publié) : http://froudounich.free.fr/PDF/Demiurges-ASHCAN-003.pdf

Ce que je demande aux testeurs, c’est :

  • de respecter au maximum le texte de jeu ;
  • de me poser des questions en message privé ou par mail (accessible sous mon nom) pour tout ce qui ne vous paraîtrait pas clair ;
  • lors des tests, prévenez les joueurs que le jeu est bien avancé, mais pas encore achevé ;
  • commencez par un one-shot, je ne puis garantir la fiabilité du jeu en campagne à ce stade ;
  • à la fin du document se trouve un questionnaire, je vous propose de réfléchir aux questions soulevées ;
  • toute proposition ou suggestion devra viser à tenir compte de ce que vous pensez être ma vision pour mon jeu, plutôt que d’essayer d’imprimer la vôtre ;
  • faites-moi un compte-rendu de la partie que vous avez jouée dans la rubrique Banc d’essai de ce forum ou par mail (dans le compte-rendu, pensez à me parler aussi bien de la fiction que de la manière dont vous avez utilisez les règles et des incidences que ça a eu sur la partie, que des réactions des joueurs et des vôtres) ;
  • pensez à parler aussi bien des points positifs (s’il y en a) que négatifs, mais surtout, soyez constructifs ;
  • utilisez le questionnaire pour vérifier si vous n’avez pas quelque chose à apporter sur des questions auxquelles vous n’auriez pas forcément pensé ;
  • enfin, je préfère que le jeu déplaise mais remplisse l’objectif qu’il s’est fixé plutôt qu’il plaise parce que vous l’auriez transformé.

À ce stade, les retours d’autres MJ me sont indispensables pour comprendre les forces et les faiblesses de mon jeu, les retours de playtests de Fabien m’ont fait progresser spectaculairement (il m’a même permis d’y être joueur), je l’en remercie chaleureusement.

 

Vous trouvez que votre MJ n’est pas génial, qu’il fait mal certaines choses ?

Avant de lui jeter la pierre, commencez par envisager toutes les tâches qu’un MJ doit assumer durant une partie :

    1. décrire le décor et tout ce qui le compose ;
    2. répondre aux précisions demandées par les joueurs (voir réification) et donc combler les lacunes (inévitables) du livre ;
    3. décrire les situations (où sommes-nous, qui est là et que se passe-t-il ?) ;
    4. faire la mise en scène (la manière de narrer et d’amener les situations, mettre de l’émotion, faire des descriptions riches ou succinctes, par exemple) ;
    5. narrer les actes des PNJ et interpréter leurs paroles ;
    6. gérer l’adversité ;
    7. narrer le résultat de chaque action ;
    8. décider si certaines actions réussissent ou échouent (par exemple les actions sociales) ;
    9. il doit combler la zone de flou souvent laissée entre l’intention d’un joueur et le résultat de l’action entreprise ;
    10. et du coup, il devient responsable de la consistance des PJ et du respect de la vision qu’en a le joueur ;
    11. déterminer comment un PNJ donné devra réagir dans une situation nouvelle (objectifs, motivations et relations du personnage) ;
    12. faire des liens entre les différents éléments de l’histoire (si le scénario ne le fait pas déjà ou en cas de transgression du scénario initial) ;
    13. révéler les éléments de l’intrigue ;
    14. restaurer la cohérence de l’intrigue (quand elle n’était pas optimale sur le papier ou que le MJ a opté pour une transgression de son scénario en cours de partie) ;
    15. tisser des situations de crise qui ne sont pas prévues à l’avance (pour relancer la partie quand elle prend un coup de mou, par exemple ou quand on sort du scénario) ;
    16. estimer la difficulté des ennemis et des épreuves ;
    17. établir quelles propositions de solutions des joueurs sont valides pour résoudre les problèmes ;
    18. respecter les faits et la cohérence de l’univers et de son esthétique et s’en porter garant (veiller à ce que les joueurs les respectent aussi) ;
    19. amener les scènes prévues à l’avance ;
    20. gérer le temps intradiégétique ;
    21. gérer le rythme de la partie (en temps réel) ;
    22. gérer le temps de parole des participants ;
    23. s’assurer du respect des règles ;
    24. compléter les lacunes du système (si besoin) ;
    25. décider quand une règle doit être utilisée ou pas ;
    26. ne pas tenir compte d’un jet de dés s’il entrave le bon fonctionnement d’une autre de ces tâche ;
    27. vérifier des informations dans le bouquin ;
    28. s’assurer que les choix des PJ aient des conséquences intéressantes sinon crédibles ;
    29. faire office d’arbitre en cas de litige ;
    30. donner des limites sur ce que les joueurs peuvent ou ne peuvent pas faire dans la fiction ;
    31. permettre aux joueurs d’harmoniser leurs attentes vis à vis de la partie ;
    32. gérer les relations entre joueurs ;
    33. essayer d’impliquer chaque joueur ;
    34. recadrer les joueurs dissipés ou peu impliqués ;
    35. vérifier que tout le monde prenne plaisir ou du moins « en ait eu pour son argent » ;
    36. faire en sorte de prendre plaisir pour lui-même.

    La liste de ces tâches n’est sans doute pas encore exhaustive. Chaque MJ ne doit pas toujours toutes les gérer, cela dépend d’une part des mécaniques du jeu, et d’autre part des choix de préparation. Certaines combinaisons ont de quoi rendre fou (par exemple : restaurer la cohérence de l’histoire tout en révélant les éléments de l’intrigue ; narrer les actions d’un personnage tout en essayant de déterminer comment il devrait agir alors qu’on ne sait pas vraiment qui il est et ce qu’il veut ; garantir aux joueurs une liberté d’action alors qu’une bonne partie du monde, des mœurs et de l’histoire sont déjà créés…) et l’expérience ne suffit généralement pas à faire toujours des choix qui permettent de se concentrer sur ce qui est important.

    Je pense qu’il faut d’une part préparer qualitativement plutôt que quantitativement une partie, par exemple, le simple fait de donner des objectifs et des motivations aux personnages (qu’ils soient internes ou externes), PJ ou PNJ, permet de mieux envisager une finalité à l’histoire jouée et quels sont les intérêts d’un personnage dans une situation donnée.

    Ensuite, il faut partager certaines de ces tâches entre les participants : par exemple, laisser les joueurs décrire les succès de leurs personnages évite que le MJ ne se retrouve à court d’idées au bout du 10e coup d’épée et ça lui permet de se concentrer sur d’autres tâches.

    Choisissez des systèmes qui ne vous demanderont pas de bricoler pendant la partie car ils utilisent la même mécanique pour toutes les actions et qu’ils ne proposent pas de règles additionnelles.

    Enfin, il faut à tout prix éviter de devoir gérer des choses contradictoires, comme par exemple :

     

    La version 2.2 de Monostatos de Fabien Hildwein est en ligne, je vous invite à découvrir ce jeu formidable, dont l’engagement et l’esthétique en font une œuvre hors du commun.

    Présentation :

    Monostatos vous invite à interpréter des héros libérateurs au sein d’un univers de déserts, constellé des restes de civilisations éteintes et de l’héritage des dieux morts, et tombé sous le contrôle de Monostatos, dieu de l’humanité. Son Culte favorise confort, conformisme et obéissance, et annihile toute créativité et tout désir. Vos personnages sont les derniers individus puissants et magnifiques de leur univers. Ils se dressent contre ce dieu unique et s’accompliront pleinement en libérant leurs peuples des esprits et des gouvernements qui les oppressent.

    Liens et explications ici :

    http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=24&t=2446

     

    D’après Romaric Briand, l’auteur de Sens Hexalogie, la relation entre le joueur et son personnage est la « volonté » ; comprendre : le joueur joue la volonté de son personnage.

    On pourrait établir que le JDR fonctionne comme suit : le joueur joue la volonté du personnage et le MJ le monde autour de lui.

    Alors, pourquoi on me laisse décrire les vêtements de mon personnage ? Parce que c’est mon personnage qui les a choisis, donc sa volonté a une influence dessus ? D’accord, mais alors pourquoi le MJ décide du type de domicile de mon personnage ? Après tout, la volonté devrait avoir une influence là-dessus aussi. Et pourquoi le joueur choisit-il de jouer un homme ou une femme, la volonté n’a, a priori rien à voir là dedans, à moins qu’on joue selon un paradigme disant que l’âme choisit son réceptacle avant de s’incarner et oublie tout de son ancienne existence ?

    En réalité, tous les jeux de rôle offrent au joueur des espaces créatifs qui vont au delà de la volonté, que nous appellerons des « transgressions de simulacre », des espaces créatifs qui vont au-delà des prérogatives fondamentales des joueurs.

    De la volonté au MJ, de l’humain au divin

    Si le joueur est la volonté, qui est le MJ ? Si les volontés sont indispensables pour explorer le monde par leur point de vue, le MJ doit toujours être présent dans une partie de JDR car nous ne pouvons pas jouer que des réalités internes, il faut également construire la réalité externe et ensuite offrir par le système de jeu le moyen d’une interaction entre elles.

    Parfois le MJ est attitré, d’autres fois, sa présence est subtile, parfois même, son rôle est réparti entre plusieurs participants, voire, tous.

    Offrir un peu de transgressions sur l’espace d’exploration de la volonté rend le jeu moins rigide, moins tributaire des désirs du MJ, car c’est déjà un partage de son pouvoir. Si l’on peut envisager l’existence comme une soumission au destin, nous ne pouvons réfuter par nos actions notre libre-arbitre, mais plus avant, quand un joueur détermine le sexe de son personnage ou qu’il décide de décrire un pan du décor, il occupe subrepticement un rôle méta-humain, donc une part du rôle de MJ.

    Une transgression de simulacre consiste à s’aventurer au delà des libertés humaines et s’avère nécessaire pour tout jeu de rôle ; ne vous y trompez pas, jouer la volonté d’un personnage à 100% est impossible, ne serait-ce que décider d’un fait du personnage comme découlant de choix passés est déjà une transgression, car on ne le remet pas en cause, alors que si on voulait assumer un paradigme de simulation du réel, il nous faudrait vérifier que le personnage trouve bien les vêtements de la couleur qu’il désire, que le couturier parvienne à le créer parfaitement, qu’il ait les moyens de le payer et qu’il le possède toujours plusieurs années après.

    Je vous propose d’abandonner purement et simplement toute logique de simulation du réel. Dès lors, les transgressions deviennent un outil qui permet non seulement de varier les expériences de jeu, mais aussi de résoudre un certain nombre de problèmes liés à la trop forte dépendance au MJ.

    Voici un panel des transgressions de simulacre que l’on rencontre dans les diverses formes de jeu de rôle entre la volonté pure et le rôle omnipotent du MJ :

    1. La volonté nue : le joueur ne décrirait que ce que la volonté dicte au personnage, donc ses intentions d’actes, ses paroles et éventuellement ses pensées. Ce principe de base est toujours associé à des transgressions plus ou moins importantes.

    2. L’être : le joueur décrit en plus des actions, ce qui constitue le personnage : son corps, ses capacités, son histoire et son milieu social.

    3. La puissance : le joueur décide ce que son personnage est capable d’accomplir ou non tant que ça n’interfère pas avec d’autres volontés. On pourra aménager en cas de victoire de Conflit des espaces où le joueur pourra décrire les résultats des actes de son personnage. On peut aussi dire que tant que d’autres volontés ne s’y opposent pas, le joueur peut décrire le résultat de ses actions.

    4. Les possessions : le choix de tenue vestimentaire, d’équipement, de logement, de véhicule du personnage sont les conséquences de la volonté. Il ne s’agit pas seulement de déterminer ce qu’on possède, mais aussi d’avoir le loisir de le décrire. Ces choses là dévoilent l’identité du personnage, il n’est donc pas rare que le joueur décide de le choisir et le décrire de lui-même (ne serait-ce qu’en le dessinant). Cette transgression peut aller jusqu’à laisser les joueurs décider à tout moment de la partie que leurs personnages possèdent une arme à feu ou tout autre objet nécessaire à la progression de l’histoire, ou à son enrichissement.

    5. Les savoirs : le joueur détermine les savoirs de son personnage, il peut même aller jusqu’à les inventer tant qu’il respecte le canon du monde fictif, bien sûr.

    6. La complétion des situations : plutôt que d’attendre la réponse ou l’aval du MJ pour des détails, le joueur peut les créer lui-même. Ainsi, s’il est dans une forêt, il peut décider de grimper à un arbre, sans en demander la permission au MJ, ce qui signifie qu’il décide qu’il y a un arbre qui peut être escaladé, puisque la forêt implique la présence d’arbres. Il peut même décider qu’un arbre est assez épais pour se cacher derrière. Cette technique permet de fluidifier la narration et de préserver la crédibilité des personnages afin d’éviter que les joueurs ne proposent que des choses qui sont déjouées par le MJ, qui ne s’avèrent pas possibles ou qui finissent par échouer lamentablement : plutôt que d’être toujours dépendant du MJ et du système de résolution (voire de la caractéristique « chance » dans certains jeux) – d’un point de vue fictionnel – le joueur peut décider que son personnage ne fait les choses que parce qu’elles s’avèrent implicitement possibles ; d’un point de vue mécanique – c’est parce qu’un joueur veut faire quelque chose que la situation le permet.

    7. L’état divin : que l’on peut aussi appeler rôle du metteur en scène, est généralement endossé par le ou les MJ, mais pas toujours, notamment quand le décor n’a pas une grande importance dans l’histoire jouée. Consiste à pouvoir décrire les éléments de décor et d’intrigue, les personnages secondaires etc. Les jeux qui offrent une telle liberté à tous les participants, s’arrangent généralement pour différencier leurs rôles de manière plus ou moins formelle, en distinguant des priorités d’une autre nature, telles que l’adversité, planter des situations ou autres entre les joueurs.

    Ce ne sont que des exemples assez courants, on peut bien sûr les cumuler et les soumettre à conditions, mais ceux-ci sont éprouvés. Je pense que chacune de ces transgressions est potentiellement valable, selon la manière dont elle est intégrée aux faisceaux de techniques d’une partie de JDR.

    Ces techniques peuvent être utilisées librement si les enjeux du jeu ne sont pas tactiques, sans quoi, il faudra les baliser afin d’éviter les débordements à même de déséquilibrer les chances de succès. En fait, un bon game design devrait connaître les enjeux importants pour les parties à jouer et laisser aux joueurs la liberté de décider si son personnage sait faire une chose ou une autre, ou s’il possède un objet à un moment précis, tant que ça n’interfère pas avec les enjeux ciblés par le système.

    Beaucoup de rôlistes peinent à accepter la logique des points 3, 4, 5, 6 et 7, car sortant d’une relation « humaine » au monde réel (alors que la 2 l’est tout autant).

    Elles utilisent le principe de justification a posteriori qui est la base d’un paradigme fictionnel : si un personnage a voulu faire une action, c’est parce qu’on adapte la situation aux désirs du joueur et non parce que le MJ l’a jugée pertinente. Cela nécessite que ces techniques n’entrent pas en conflit avec celles du MJ.

    Toute fiction est incomplète et la fiction verbale encore plus que les autres. Un auteur de roman se contentera de dire ce qui est important pour l’histoire et ce qui n’est pas habituel dans notre monde (voir Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, aux PUF), notamment car le langage ne permet pas de donner des images présentant une scène de manière exhaustive. Si on ne laisse pas les joueurs combler un peu ce qui est lacunaire – comme le romancier le fait avec ses lecteurs – l’échange de parole lors d’une partie de JDR devient surchargé, nébuleux et laborieux.

    Enfin, offrir des transgressions aux joueurs permet d’alléger la charge du MJ.

    Cet article se veut complémentaire des principes de responsabilités et propriétés, ainsi que des postures tout en y étant étroitement corrélé.

     

    Fréquemment, le MJ est amené à jouer deux rôles contradictoires :

    • mener son scénario jusqu’au bout ;

    • jouer l’adversité.

    Ces rôles se trouvent en conflit pour les raisons suivantes :

    Quand un MJ a préparé son scénario, il fait généralement un ensemble de scènes qui ont pour but de se lier et prendre sens à un moment clé (généralement vers la fin), c’est à la fin que les joueurs pourront découvrir ce bel édifice conçu par le MJ (ou l’auteur du scénario si ce n’est pas le même).

    L’adversité consiste à placer des obstacles (au sens large : on inclus les ennemis par ce terme) qui se dressent en travers du chemin des personnages joueurs.

    Si le MJ veut jouer correctement l’adversité, il doit la rendre menaçante pour les PJ et avec un système de jeux classique, les épreuves se soldent généralement par la mort d’un ou plusieurs PJ, ou un affaiblissement considérable.

    Si le MJ veut mener son scénario jusqu’au bout, il doit à tout prix éviter que les PJ meurent ou soient dans l’incapacité de faire le boulot.

    Dans ce cas, il se retrouve dans une situation où il doit à la fois s’opposer aux PJ et en même temps les mener au bout de son scénario, il devient le guide de montagne et l’avalanche. Les MJ réagissent comme ils peuvent à cette contradiction : beaucoup sont trop gentils, ils n’osent pas jouer vraiment l’adversité à fond pour ne pas que le boulot passé à préparer le scénario s’avère vain. D’autres doivent faire le deuil d’une partie de leur scénario.

    Préparer un scénario demande souvent beaucoup de travail. Le MJ trouve une grande part de satisfaction, lors d’une partie, à voir son scénario joué jusqu’au bout. Quand ce n’est pas le cas, il y a de quoi être frustré.

    Pour contrer cette contradiction :

    • commencez par préparer vos parties en respectant le caractère potentiel d’une partie de JDR ; de cette manière, vous ne traînerez plus votre scénario comme un boulet ; des jeux comme Innommable, proposent un système de préparation de « situations mystérieuses » qui fonctionne à merveille ;

    • pensez aussi que le suspense en JDR ne tient pas forcément à se demander si le protagoniste va atteindre son objectif, mais surtout à ce qu’il va devoir sacrifier pour y parvenir. Choisissez donc des systèmes de résolution qui ne risquent pas de tuer vos PJ inopinément, que la mort soit un choix de l’un ou l’autre des participants et faites en sorte que les PJ aient des choses à sacrifier autres que leurs armes et leurs points de vie ; le système de Polaris de Ben Lehman y pourvoit à merveille.

     

    La version Ashcan d’un jeu indique que le jeu a franchi un cap et qu’il est prêt à être testé par les MJ et joueurs fous qui veulent contribuer à sa finalisation.

    Démiurges est mon projet phare, celui qui m’a accompagné depuis que je me suis jeté à corps perdu dans la création de jeux de rôle.

    Les démiurges sont des humains possédant des pouvoirs hermétiques : alchimie, arithmancie et psychométrie. L’alchimie consiste en la transmutation instantanée de la matière, l’arithmancie permet de contrôler les éléments et la psychométrie de lire et d’influencer la mémoire des objets et les pensées des êtres vivants. Les démiurges recherchent la pierre philosophale. Votre seule limite est votre imagination.
    Votre vécu et vos croyances seront-t-ils une force ou une entrave pour atteindre votre rêve d’absolu ?

    Serez-vous un héros, un justicier, un apprenti sorcier ou un savant fou ? Quels sacrifices seront nécessaires ? Démiurges est un jeu de rôle centré sur les problématiques de la condition humaine.

    Téléchargez ici la version ashcan

     

    La fiction fonctionne comme un jeu entre l’Émetteur (le scénariste, le romancier, le metteur en scène…) de l’œuvre et le Récepteur (le spectateur, le lecteur…). Le pivot central est le jugement de valeur.

    L’Émetteur fait une proposition à l’adresse du Récepteur. Je souhaiterais ici mettre le doigt sur deux formes de relations entre eux :

    1. Un policier est coincé dans une banque et cherche un moyen pour régler leur compte aux terroristes qui ont monté la prise d’otage. Il utilise un leurre pour détourner l’attention de gardes pour s’infiltrer au deuxième étage, mais un des gardes le surprend, il court vers l’ascenseur et la porte se referme sur son fusil d’assaut piqué à un terroriste un peu plus tôt. Il coupe la sangle pour pouvoir s’enfuir, laissant derrière lui sa seule arme à feu.

    2. Un médecin militaire recueille un homme sur le champ de bataille, il s’agit d’un soldat ennemi. Il sait que s’il utilise son temps pour le soigner, il risque gros. Il aménage donc un espace sous sa tente où il le soigne secrètement. Un autre soldat est amené blessé et reconnaît le soldat ennemi qu’il accuse d’avoir tué son ami…

    L’Émetteur (dont je joue le rôle présentement) fait deux propositions :

    Dans la première, il présente une situation dans laquelle, le protagoniste (le flic) cherche à accomplir un objectif univoque. L’Émetteur demande au Récepteur d’être comme un supporter. Les enjeux sont tout ce qui menace son objectif, augmentent le coût du sacrifice que devra faire le protagoniste pour atteindre l’objectif.

    Dans la deuxième proposition, l’Émetteur pose une situation ambigüe dans laquelle le Récepteur est libre de juger les actes du médecin et des autres personnages. Le médecin a-t-il commis une erreur ? Est-il trop bienveillant ? Ou se bat-il pour une cause juste ? Le soldat ennemi est-il un salopard ? Ou est-il une victime de la guerre ? Chaque nuance, chaque position est digne d’intérêt pour le Récepteur, car c’est le caractère équivoque de la situation qui titille le sens moral du Récepteur sans que le narrateur ne pose lui-même de jugement explicite ou implicite.

    D’une certaine façon, c’est assez proche de la distinction que fait Aristote entre l’Épopée et le Drame.

    En jeu de rôle, ces deux dynamiques sont la différence fondamentale entre la démarche créative narrativiste et les démarches créatives ludiste et simulationniste. Si vous créez des situations où les choix des personnages amènent prioritairement des jugements moraux, vous jouez dans une démarche narrativiste ; si l’objectif n’est jamais remis en question, si leurs choix cherchent à être prioritairement efficaces ou adaptés, vous jouez dans une des deux autres démarches.

    Bien sûr, il faut garder à l’esprit que les postures d’Émetteur et de Récepteur en JDR sont extrêmement changeantes et surtout, que la part ludique/interactive de notre activité amène une troisième dimension permettant notamment de différencier plus avant les démarches simulationniste et ludiste.

     

    Il n’est pas simple de gérer les objectifs des personnages pendant une partie de jeu de rôle. Mon travail sur le sujet m’a permis d’identifier plusieurs structures possibles.

    Mes tentatives de mêler une intrigue principale épique avec des objectifs secondaires plus intimistes s’est généralement soldée par un échec : si les joueurs cherchent à résoudre une enquête en priorité, ils délaissent généralement leurs objectifs secondaires (et vice versa). J’espère que ces schémas vous aideront pour vos jeux et vos parties comme les réflexions dont ils découlent m’ont aidées pour les miens.

    Légende

    Voici la légende des symboles utilisés dans les schémas.

    1. Unidirectionnel

    Le schéma unidirectionnel est celui qu’on trouve le plus souvent dans les parties de JDR, tant et si bien que pour beaucoup, il est le seul moyen efficace de faire du JDR. Bien sûr il n’en est rien.

    Il présente l’intérêt de permettre aux joueurs de collaborer vers un objectif commun. Il nécessite de verrouiller les dissensions possibles entre les PJ et se prête mal à la poursuite d’objectifs individuels. Qui pourraient fragiliser la poursuite de l’objectif final. Souvent, les MJ mettent tous leurs efforts pour préparer l’objectif principal, mais laissent une liberté aux joueurs qui risque de contrarier ces efforts. Il faut que la cause des PJ soit univoque, qu’il n’y ait pas d’incitations à le remettre en question. Les éléments de background des PJ, s’il en est, doivent les pousser vers leur objectif commun. Les PJ ne doivent pas de raisons d’entrer en conflit les uns avec les autres et dans l’idéal, prévoyez des garde-fous pour empêcher qu’un PJ change de camp, par exemple :

    Dans Gloria, les PJ sont des héros au service d’une déesse. Servir la déesse demande de respecter un code, tous ceux qui le trahissent ne peuvent plus assumer leur rôle et deviennent des PNJ (les joueurs peuvent cependant créer un nouveau héros).

    Dans Sens Hexalogie, le MJ doit faire jouer les histoires individuelles en dehors des séances de jeu groupé.

    2. En arrêtes de poisson

    Les parties en arrêtes de poisson proposent un objectif commun aux PJ et offrent d’explorer également des objectifs secondaires.

    Souvent, une partie unidirectionnelle mal cadrée peut se transformer en partie en arrêtes de poisson. L’ennui, c’est qu’une partie en arrêtes de poisson ne nécessite pas le même type de cadre de jeu :

    • il nécessite une vraie souplesse dans l’articulation des scènes ; ce sont généralement les joueurs eux-même qui entreprennent de suivre les objectifs secondaires, ils doivent avoir la liberté de le faire ; quand les objectifs secondaires empiètent sur l’objectif principal (ou inversement), il s’agit d’une perversion de cette structure qui gagnera à retrouver rapidement son équilibre ;

    • il doit opter entre une possibilité de déstructurer le schéma et permettre aux objectifs de se réorganiser selon les autres schémas immédiatement ; ou faire en sorte que l’objectif principal demeure le plus important ; dans le deuxième cas, on peut imaginer que les PJ entrant en opposition avec le groupe doivent quitter le jeu à l’issue d’une séance (comme le fait Dogs in the vineyard) ;

    • les objectifs secondaires peuvent être des complications survenant en marge de l’accomplissement de l’objectif principal, ou des parenthèses visant à développer les PJ et leur background.

    3. Convergent

    Dans une partie de structure convergente, tous les PJ recherchent le même objectif sans aucune obligation d’agir de concert.

    Les conflits entre PJ sont courants dans cette structure, il faut donc impérativement un équilibre dans la possibilité d’action de tous les PJ (soit, de parole de tous les joueurs) et une souplesse dans l’articulation des scènes.

    Vampires de Victor Gijsbers utilise cette structure et séquence le jeu par scènes d’une durée variant entre 5 minutes et un quart d’heure, centrée sur chaque PJ à tour de rôle. C’est le joueur qui initie sa scène en annonçant ce que veut y faire son personnage.

    4. Entrelacés

    Dans cette structure, chaque PJ possède son propre objectif, mais les PJ ont tous des raisons d’interagir avec les personnages des autres, que ce soit par relation entre eux, ou avec les objectifs en question.

    Pour faire fonctionner cette structure, c’est important de laisser aux joueurs une grande liberté d’intervention, par exemple Psychodrame qui utilise ce type d’organisation des objectifs propose aux joueurs de faire intervenir leurs PJ quand ils le souhaitent dans n’importe quelle scène tant que c’est cohérent ou qu’ils le justifient.

    Voici un exemple de la manière dont les relations entre PJ et objectifs sont organisées dans Psychodrame, en fonction du nombre de joueurs : http://froudounich.free.fr/images/Psychodrame-pb.gif (attention, les symboles y sont utilisés différemment que dans les schémas de cet article).

    5. Parallèles

    Dans ce cas de figure, les PJ se retrouvent aux prises avec un ou plusieurs problèmes, ils peuvent ne jamais se retrouver, ni s’entraider, mais tout est lié dans le fond.

    Les joueurs, eux, savent qu’ils luttent pour un même objectif, donc ce que font les autres est intéressant pour eux. Ils pourront éventuellement s’allier, mais rien ne les y incite. Prosopopée ou Innommable utilisent ce type de structure. Ça peut valoir le coup que les conflits/combats ne durent pas trop longtemps pour éviter que les autres joueurs ne soient spectateurs trop longtemps.

    Techniquement

    Le découpage des scènes, l’attribution de la décision des objectifs à long ou court terme, la répartition du temps de parole et la responsabilité de situation jouent un rôle fondamental dans la faisabilité et la cohérence de chacune de ces structures.

    Chaque jeu peut exploiter des techniques variables pour produire une structure fonctionnelle, quelle qu’elle soit. Certaines contraintes traditionnelles s’avèrent des obstacles au bon fonctionnement de ces organisations des objectifs des personnages.

    Dans tous les cas, il ne faut pas oublier qu’en général il n’y aura qu’un seul protagoniste et que les autres joueurs devront se contenter de seconds rôles (parfois tout aussi intéressants à jouer dès lors que les joueurs ont leur espace d’expression).

    Dès lors que les petites flèches noires apparaissent, on peut observer des changements de structure en fonction des alliances et des antagonismes, il faut soit consolider la structure désirée pour la stabiliser, soit faire en sorte que les répartitions de parole et de temps d’action soient suffisamment souples pour que la nouvelle structure obtenue soit jouable.

    • Polaris de Ben Lehman avec son système particulier fait souvent 4 histoires différentes en arrêtes de poisson qui peuvent se réunir occasionnellement (pouvant alors devenir entrelacées).
    • Zombie Cinema me semble pouvoir osciller entre des objectifs en arrêtes de poisson, convergents, voire parallèles étant donné qu’il y a une très grande liberté au sujet des objectifs secondaires et au niveau de la construction des situations.

     

    Pour déterminer ce qui n’entre pas dans cette définition, je propose d’en délimiter les constantes. Projet ambitieux, oui, mais si on ne tente rien, on continuera à dire des inepties encore longtemps. À chaque fois qu’on déroge aux traditions, on prend le risque de se faire taxer d’étranger.

    J’écris ce message en réponse à tous ceux qui m’ont déjà dit que X ou Y n’étaient pas du JDR alors que je ne parvenais pas à être d’accord. Plutôt que de me baser sur une pratique, je prends le parti d’isoler les éléments qui me paraissent fondamentaux à la pratique rôliste.

    I. Définition

    Commençons par nous attarder sur les origines de l’activité et sur ses fondations.

    L’ensemble de cet article est inspiré d’une définition de Christoph Boeckle : « Le jeu de rôle est une activité de groupe où tout le monde participe à la création d’une histoire, en effectuant des choix selon la situation de la fiction. »

    I.1. Origines et similarités

    On lui attribue plusieurs origines :

    • les contes au coin du feu1 ;

    • les wargames dont Chainmail2, précurseur de Donjons & Dragons serait le chaînon manquant ;

    • les jeux de simulacre de l’enfance (jouer à la poupée, faire vivre une ville de Playmobils…) ;

    • les jeux fictionnels Oulipiens (cadavre exquis, Un conte à votre façon3 de Raymond Queneau écrit en 1967, précurseur des livres dont vous êtes le héros) ;

    • les jeux littéraires comme Glass town4, première moitié du XIXe siècle…

    Olivier Caïra apporte un éclairage particulier : le JDR ludique serait devenu possible à partir du moment où les populations occidentales, dans les années 70 se sont trouvées abreuvées d’une quantité de fictions importante qui a permis, par une culture fictionnelle commune, de jouer avec ce matériau imaginaire5.

    N’oublions pas que faire du théâtre, du jeu de rôle en formation, du psychodrame (jeu de rôle thérapeutique6 inventé en 1930-1932) est du « jeu de rôle » : le fait de jouer un personnage fictif dans une situation imaginée et partagée entre plusieurs personnes. On pourrait même dire que le simple fait de se projeter en disant « et si je faisais ceci, quelles seraient les conséquences ? » est une base de jeu de rôle.

    Mais l’acception fondatrice est anglophone : « role playing game » et elle contient un élément supplémentaire en comparaison de sa traduction réductrice « jeu de rôle » : il s’agit de la structuration/régulation de l’activité ludique.

    Il n’en reste que toutes ces activités ont un tronc commun, elles me semblent jouer un rôle dans les origines du JDR : il a bien fallu des pratiques fictionnelles, ludiques et théâtrales avant d’avoir l’idée de les fusionner en une nouvelle forme de pratique. Elles mettent en lumière les racines des activités humaines que l’on retrouve dans le JDR, mais aucune n’est à proprement parler du jeu de rôle au sens de « role playing game ».

    I.2. C’est une activité sociale

    Qu’elle se joue autour d’une table, en « grandeur nature » ou via internet, l’activité rôliste se pratique par au minimum deux participants, de cette manière, des transactions se mettent en place : certains participants créent pendant que d’autres jugent leur création et ces postures « s’intervertissent » continuellement ; les participants sont tous émetteurs et récepteurs en alternance de la construction de la fiction.

    Écrire un roman comporte le processus de création et celui de jugement par les lecteurs, mais les lecteurs ne peuvent pas modifier le contenu de l’œuvre en intervertissant leur posture avec celle du romancier.

    I.2.1. C’est une pratique interactive

    L’interactivité est ce qui fait que l’interprétation du rôle devient central. On peut très bien jouer au Monopoly en interprétant l’homme d’affaire, ce jeu se fera en parallèle des transactions et n’interfèrera pas dans l’évolution des ventes et achats de terrains7.

    Jouer une pièce de théâtre comporte également le processus de création dans la performance scénique, mais les postures sont unilatérales (certaines formes de théâtre participatif amènent une forme d’interactivité, j’en reparlerai plus loin).

    I.3. L’E.I.P.8

    « The fictional content of play as it is established among participants through role-playing interactions. » Ron Edwards, The Provisional Glossary.

    Traduction : « Le contenu fictif en jeu tel qu’établi entre les participants à travers les interactions pratiquées pendant une session de jeu de rôle. »

    Il s’agit donc du résultat du processus consistant à imaginer des éléments et des évènements fictifs et à les communiquer à l’ensemble des participants, de façon à ce qu’ils puissent poursuivre ledit processus en réponse. Sans ce matériau fictionnel, pas de jeu de rôle, ainsi donc les successions de jeter de dés ou de calculs de chiffres ne constituent pas seuls une activité que l’on peut qualifier de jeu de rôle. L’Espace Imaginé et Partagé est la production de fiction interactive par deux individus ou plus.

    I.3.1 La fonction de l’Espace Imaginé et Partagé

    Les décisions que prennent les participants doivent être faites en cause et en conséquence des situations fictives, explication :

    Prenons une situation fictive : les soldats de l’empereur entrent dans la demeure où se trouvent les personnages que contrôlent les joueurs. Les soldats disent qu’ils viennent arrêter les personnages en question. Dans ce cas-là, si un joueur dit que son personnage s’enfuit pour leur échapper, il aura effectué une décision en conséquence de la situation fictive.

    Maintenant, imaginons qu’en s’enfuyant, les évènements l’amènent à décider que son personnage va demander main forte à son beau frère qu’il n’aime pas, dans le but de sauver sa peau. Cela amène les joueurs à produire une scène où le personnage du joueur supplie son beau frère de le cacher. La décision précédente a été faite en cause de la suivante.

    Prenons deux exemples où ce ne serait pas le cas. Imaginons qu’un joueur décide de lancer un combat parce qu’il sait que s’il obtient la victoire, il gagnera de l’argent réel (comme on le fait au poker). Dans ce cas, la décision a été prise en cause externe à la fiction : gagner de l’argent « réel ».

    Dans un second cas, imaginons que la femme du joueur lui dise : « si tu ne nous débarrasse pas de ces gardes (fictifs), je te laisse faire la vaisselle (sous entendu la véritable vaisselle qui traine dans leur évier, et non une vaisselle fictive) ». Si le joueur fait le choix de faire combattre les soldats fictifs à son personnage, ce sera en conséquence d’une menace de sa femme extérieure à la fiction.

    Dans ces deux derniers cas, la mécanique du jeu est biaisée, si l’ensemble de leur pratique fonctionne sur ces principes là, on peut dire qu’ils ne font pas du jeu de rôle (toujours au sens role playing game, à présent, je prends la liberté d’employer « jeu de rôle » pour ne parler implicitement que de cette forme bien précise de jeu fonctionnant par et pour l’Espace Imaginé et Partagé).

    Ainsi un jeu comme Les loups garou de Thiercelieux ne peut être défini comme un jeu de rôle puisqu’il se contente de fournir un prétexte fictionnel à des joueurs (dans le village de Thiercelieux, des loups garous dévorent de pauvres villageois, ils sont parmi vous, essayez de trouver qui ils sont) pour amener une discussion basée sur le bluff. Aucun élément de fiction n’est généralement communiqué par le jeu et les décisions sont prises, la majeure partie du temps, pour éviter d’être éliminé du jeu. Les joueurs n’apportent aucun élément de fiction autre que ce qui était prévu à l’avance par les mécaniques du jeu, donc on ne peut pas parler d’Espace Imaginé et Partagé.


    I.4. Une activité d’humains

    Le fait – d’une évidence même – que l’activité rôliste9 soit pratiquée par des humains induit certains principes fondamentaux relatifs à leur condition.

    I.4.1. La propriété

    L’humain est limité : il ne peut pas tout connaître de façon exhaustive et simultanée. L’idée même de se projeter dans un autre être, dans un autre monde demande de créer des conditions similaires à celle de l’existence qu’il connaît.

    Pour créer une analogie avec la façon dont il est censé percevoir ladite existence, nous avons besoin de donner au joueur physique une propriété sur le monde fictif. La base que l’on rencontre fréquemment est : « joueur A décide des actes (parole comprise) et pensées d’un personnage que l’on désigne par conséquent comme lui appartenant. C’est cela, la propriété. Ces éléments de propriété concernent donc ce qu’on désigne de façon générale comme étant la « volonté10 » d’un être.

    Mais les volontés seules n’amènent qu’une partie de ce que notre expérience témoigne : il manque ce qui constitue le monde : les objets, les faits qui le constituent. On va donc désigner un ou plusieurs joueurs qui vont avoir le droit de décrire le décor : où se trouvent les personnages fictifs, quelles informations parviennent à leurs « esprits » ? Et qui définit les actes et pensées des personnages surnuméraires en rapport au nombre de participants physiques ?

    On a défini un rôle pour cela, on l’appelle MJ : Maître du jeu, Meneur, Metteur en scène, Conteur…

    La différence avec les autres participants qui sont propriétaires de la volonté d’un seul personnage, c’est qu’il statue sur tout le reste. Ok, mais il y a un problème : ça signifie que c’est le MJ qui décide à quoi ressemble le personnage dont je suis propriétaire, ce qu’il possède… On se rend compte qu’en fait les propriétés du MJ sont TOUJOURS réparties entre tous les participants. Tout ce que je choisis de mon personnage, qui est étranger à sa volonté est en fait une concession. Ces concessions ont de nombreuses fonctions : le confort de jeu, soulager le MJ, créer une mise en commun de la créativité des participants, plutôt que de tout laisser à un seul…

    Donc, plutôt que de toujours laisser un autre décider de tout ce qui n’est pas de la volonté de mon personnage, on me laisse choisir. Parfois ces limites sont floues, d’autres fois elles sont très précises. Joue-t-on un homme ou une femme ? Né dans une famille riche ou pauvre ? D’ailleurs, combien a-t-on de frères ou de sœurs ? Soi-même quel est notre métier ? Ais-je fait le métier que je voulais ? Ou est-ce que le destin en a décidé autrement ? Ais-je décoré mon appartement ? Ou ais-je pris un meublé intégralement décoré par un autre et dont chaque fonctionnalité a été décidée par un autre ? Quel joueur va décider de chacun de ces aspects ? Moi-même parce qu’il s’agit de mon personnage, ou un autre ?

    C’est la première partie importante du système du jeu, c’est la partie « role » du role playing game).

    I.4.2. La résistance

    La deuxième grande partie du système est la résistance. La résistance est le fait de rendre incertain l’aboutissement de certaines actions, c’est de faire sentir à la volonté que rien est acquis d’avance. Ce qui se confronte à la volonté, en dehors de ses limites décrites dans le chapitre précédent, c’est la limite du corps et les autres volontés.

    La limite du corps fait qu’un homme à mains nues ne pourra pas démolir un mur de ciment d’un mètre d’épaisseur, par exemple. Mais nous sommes là principalement dans le cadre de ce qui est possible ou non, crédible ou non, cohérent avec l’univers ou non. La plupart des jeux définissent tout une machinerie pour pouvoir vérifier si chaque action est possible, mais généralement, dans la majeure partie des cas, un individu sait de quoi il est capable avec, éventuellement, une marge d’insécurité. Mais dans la plupart des activités sur lesquelles on a travaillé, ou pour lesquelles on a subi un entraînement, on est capable d’estimer nos aptitudes.

    D’autres jeux estiment justement que les joueurs sont capables de définir eux-mêmes ce que leurs personnages sont capables de faire, si les enjeux ne sont pas centrés sur ce genre de performances, il n’y a aucun intérêt à marquer une résistance sur les actions physiques pures.

    De nombreux jeux structurent les étapes d’une résolution d’épreuve ou de conflit en situant l’incertitude après la narration de l’intention : « j’essaye de passer inaperçu. Jet de dés, résultat. » D’autres procèdent à un coût de l’issue décrite par le joueur, par exemple : « je passe inaperçu » un autre joueur « ok, mais tu laisses des traces dans la terre qui font qu’on pourra te retrouver plus tard. »

    Dans le monde du jeu vidéo narratif, certaines théories avancent que les joueurs se sentiront d’autant plus « immergés » qu’ils auront le sentiment que leurs actes ont un impact sur le déroulement de l’histoire11. Pour cela, une résistance efficace et qui n’écrase pas les joueurs implique plusieurs aspects :

    • Il faut donner aux joueurs une possibilité d’influer sur les chances de succès des actions de leur personnage, moyennant un coût effectif ou potentiel.

    • Il faut que les conséquences attendues soient possibles, mais qu’elles puissent différer de celles attendues, ou être biaisées par des éléments justifiables avant, pendant, ou après la tentative de résolution.

    • Il faut une transparence totale dans l’utilisation du système de résolution (trop d’opacité désengage le joueur des succès ou échecs de son personnage).

    C’est en utilisant ces techniques que la volonté du joueur devient celle du personnage et c’est en menaçant ses actions de ne pas advenir tel qu’il l’aurait souhaité qu’on le mobilise.

    Un jeu tel que Il était une fois propose la construction collective d’une histoire, mais n’implique les participants qu’en tant qu’auteur, car les joueurs n’ont aucune propriété spécifique sur les éléments de la fiction et les enjeux ludiques se situent hors de la fiction (éviter de dire des mots clef pour ne pas se faire damer la narration).

    De la même façon pour le théâtre participatif (théâtre forum, théâtre action, match d’improvisation etc.), les acteurs ont la propriété de leurs personnages, mais ils n’ont aucune résistance, le principal enjeu créatif se situe au niveau de la qualité de la fiction construite, voire, la mise en situation de personnes du public amène des confrontations à des comédiens reposant totalement sur la gestion arbitraire du conflit, ou à but extrinsèque : de la même façon que les jeux de rôle non ludiques, l’enjeu est d’explorer une thématique, d’expérimenter des techniques ou d’aider une personne à aller mieux.

    Vous me direz : les jeux de rôle ludiques aussi ont un enjeu extrinsèque : s’amuser entre amis, faire évoluer son personnage, explorer des thématiques… C’est qu’en fait la dimension intrinsèque des buts et enjeux n’est pas une nécessité, mais une possibilité.

    II. Les idées reçues

    Comme si je n’ai jamais vu que des chats roux, je ne peux pas décréter que tous les chats doivent être roux pour pouvoir être ainsi nommés, ce n’est pas parce que toutes les tables que je connais ont des points communs que cela détermine la nature de notre activité.

    II.1. Il faut des dés

    Bien entendu, les dés sont d’un usage courant en jeu de rôle, ce qui n’empêche que la majeure partie d’une séance se joue sans lancer de dés : descriptions du décor, descriptions des actions des personnages, discussions entre personnages, exploration des lieux… Ambre et Nobilis (pour ne citer qu’eux) ont bien démontré que le dé n’était pas une condition sine qua non à ce qu’une activité soit du JDR, ni qu’elle soit réussie. Bien entendu la part d’incertitude nécessaire à une résistance efficace fait la part belle à l’utilisation de dés, ou de n’importe quel outil permettant d’intégrer de l’aléatoire au jeu, mais des systèmes de jauges, de mises ou autres peuvent très bien fonctionner.

    II.3. C’est ludique et tactique

    De manière générale, cette idée repose sur l’assertion « ce n’est qu’un jeu ». Il s’agit là d’un des innombrables reliquats du wargame. En réalité, le jeu de rôle est aussi une fiction. Pour ainsi dire, au vu du champ sémantique du mot « jeu », on peut tout aussi bien conclure qu’il n’implique qu’une activité présentant un champ de liberté à partir d’un matériau plus ou moins souple (comme jouer de la guitare, ou « play » en anglais) et d’un cadre à cette activité (comme une harmonie pour une impro de guitare, ou « game » en anglais, soit un système de règles). Les enjeux d’une partie de jeu de rôle peuvent essentiellement se porter sur la question morale qui sous tend les actes des personnages, ou sur la dimension esthétique des propositions des participants.

    II.4. Il faut un scénario

    Le scénario, bien que très présent n’est pourtant pas indispensable. Si une partie de JDR n’en est une que si elle est conduite par un scénario, alors les moments où les MJ improvisent ne sont pas du JDR ? Comme le théâtre d’impro reste du théâtre, comme une impro de guitare reste de la musique, une impro en JDR reste du JDR, dût-il durer toute la partie. Il existe de nombreux MJ qui improvisent bien plus qu’ils ne préparent leurs parties et il existe également une pléthore de techniques et de méthodes permettant de concevoir des propulseurs à histoire en improvisation.

    II.5. Il faut un MJ

    Ça paraît plus évident de laisser la majeure partie de ce qui n’est pas la volonté des personnages appartenant aux joueurs (ce qu’on appelle les PJ) à un seul participant, mais ce n’est pas la seule option, loin s’en faut. L’ensemble de ses prérogatives peuvent être distribuées entre tous les participants, de nombreux jeux existent et fonctionnent du tonnerre sur ce principe. Il y a toujours au moins un joueur qui contrôle tout ce qui n’est pas du ressort des PJ (en effet, ce serait stérile de se contenter de parler entre joueurs sans décor, sans progression de l’intrigue, sans personnages secondaires…), mais pas toujours un seul « Maître du jeu » qui contrôle le monde, l’histoire, la cohérence, les règles, qui arbitre et qui fait le café.

    À présent

    Tout le reste n’a rien à voir avec le fait qu’une activité puisse prétendre ou non au nom de « jeu de rôle », qu’elle se joue avec ou sans plateau, que les joueurs puissent décrire le décor, qu’on joue de l’épique ou de l’intimiste, qu’on mette l’histoire, l’ambiance ou autre chose au premier plan, qu’il y ait des combats ou non, qu’il s’agisse de proportions d’une chose ou d’une autre, de seuils à partir duquel vous ne reconnaissez pas les principes de votre activité. Ne confondez pas vos habitudes et vos préférences avec la nature du jeu de rôle.

    Notre activité est complexe, diversifiée et c’est ce qui fait sa richesse et quand bien même on la métisserait avec des activités qui n’ont rien du jeu de rôle, on ne ferait que l’enrichir. N’écoutez pas ceux qui veulent la réduire, une activité qui ne se diversifie pas est vouée à mourir.

    1Voir la définition officielle de la Fédération Française de Jeu De Rôle : http://www.ffjdr.org/jdr/definitions

    2Jeu de figurine tactique intégrant des règles de duel par Gary Gygax et Jeff Perren : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chainmail

    4Glass Town, créée en 1827 par Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë : http://fr.wikipedia.org/wiki/Glass_Town

    5Jeux de rôle – Les forges de la fiction, Olivier Caïra ; Rejoignant l’analyse de Daniel Mackay.

    7Voir l’article de Vincent Baker « How RPG Rules work : http://www.lumpley.com/archive/156.html

    8L’Espace Imaginé et Partagé – Shared Imagined Space, voir The Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

    9Rôliste = nom : personne pratiquant le JDR ; Adjectif : relatif au jeu de rôle.

     

    Le paradoxe fréquent en JDR est celui de la différence de connaissances supposées du personnage avec celles effectives du joueur. Il est particulièrement présent dans les jeux historiques et/ou dans les jeux d’enquête :

    J’ai souvenir d’une partie dans laquelle nous jouions des agents du FBI débutants. Pendant l’enquête, à plusieurs reprises, nous nous trouvions (les joueurs) bien embêtés, car nous ne savions pas vraiment ce qu’il était possible de faire pour poursuivre notre enquête : quels étaient les moyens de renseignements dont nous disposions, les techniques d’investigation ? Le fait de jouer des débutants minimisait la casse, puisque notre incompétence était alors légitimée. Une scène d’interrogatoire avait tourné au vinaigre, notamment car nous n’avions pas vraiment de techniques pour convaincre le MJ que nous pouvions tirer des informations du chef de gang que nous avions isolé. En plus, inutile d’espérer pouvoir s’inspirer de la série CSI : Les Experts,  puisque nous jouions dans les années 90, donc exit 90% du matériel et des techniques (souvent romancées d’ailleurs) d’investigation scientifique présentes dans cette série. J’ai trouvé nos agents du FBI assez pathétiques à vrai dire.

    Autre partie : nous jouions des sbires du cardinal Barberini au XVIe siècle. En tant qu’intendant dudit cardinal, j’avais le loisir, en tant que joueur, de décrire son palais (puisque c’est mon personnage qui l’avait aménagé). Seulement, loin d’être à court d’imagination, je proposais des choses sans me rendre compte que ça pouvait être anachronique ou inadapté (oui, mes connaissances historiques sont très limitées). Le MJ me reprenait donc et rectifiait, à tel point que je me demande s’il n’aurait pas mieux valu qu’il décide lui, en fait.

    Et quand nous devions décider que faire pour retrouver un cambrioleur fugitif dans Venise et Florence, nous étions complètement paumés par manque de connaissances des fonctionnements de la société de cette époque, le MJ était toujours amené à statuer sur la validité de nos propositions. Nous nous retrouvions donc à faire des enchères de propositions d’action, à voir lesquelles obtenaient les faveurs du MJ.

    En y réfléchissant, je ne vois que peu de manières de régler ce genre de paradoxes :

    • Ne jouer aux jeux qui demandent de grandes connaissances dans un domaine, qu’avec des spécialistes du domaine en question (ou du moins des passionnés). Le jeu devient une célébration d’un univers connu par les participants, duquel ils échangent leurs connaissances.

    • Donner aux joueurs tout le background du jeu à lire avant de jouer et faire confiance à leur mémoire.

    • Jouer à des jeux où l’univers est moins prédéfini, les joueurs ne se trouveront pas contrariés lorsqu’ils feront des propositions, puisque l’univers deviendra davantage un produit dynamique de l’imaginaire collectif, qu’une description figée et détaillée avant de jouer, à laquelle il faut se conformer.