Les mécaniques de résolution correspondent à un panel assez large de pratiques. Ce sont les moyens qu’utilisent les joueurs et le MJ pour statuer sur le résultat de décisions fictives pour lesquelles plusieurs participants engagés dans la situation ne veulent pas la même issue.
C’est à la fois un moyen de départager les participants et un vecteur de résistance.
Au cours d’une partie, le meneur de jeu peut décider qu’une action réussit ou échoue, c’est une technique de résolution. Ce qui m’intéresse ici, ce sont les mécaniques formelles : celles qui utilisent des comparaisons de valeurs fixes ou aléatoires quel qu’en soit l’outil.
Pourquoi utiliser des mécaniques formelles ?
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L’impartialité
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La prévisibilité
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L’indétermination
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L’influence
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Les risques
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Catalyser l’histoire
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La spontanéité
1. L’impartialité
Comme je le disais, on pourrait se contenter de laisser le MJ statuer sur le résultat et les conséquences de chaque action, mais il arrive souvent que l’arbitraire des décisions du MJ soient problématiques : comme celui qui décide est juge et partie : il gère l’adversité et décide de ce que ses opposants réalisent effectivement, ses décisions seront souvent perçues comme « trop gentilles » pour éviter de frustrer les joueurs et pour ne pas faire foirer son scénario dans certains cas ou « trop dures » car il a peur de paraître trop gentil ou qu’il ne veut pas que les joueurs avancent trop vite dans les révélations de son intrigue. Même s’il essaye d’être juste, les joueurs ne peuvent en aucun cas connaître les motivations de son choix final. Cela ne permet pas de bien canaliser les frustrations.
L’autorité d’une mécanique de résolution – dès lors que tout le monde est d’accord pour adopter telle et telle technique se place en terme d’autorité – est au dessus de celle de n’importe lequel des participants puisque c’est le groupe par contrat ou consensus qui a choisi ou validé le moyen de résolution.
L’impartialité exige une certaine transparence et un respect des règles établies. Le MJ qui falsifie le résultat contrevient à ce principe et invalide le principe d’impartialité, de prévisibilité, d’indétermination et d’influence ; ce qui revient à jouer sans mécanique de résolution formelle.
2. La prévisibilité
La prévisibilité consiste à maintenir une causalité entre l’intention du joueur, son action et leur résultat. Ainsi, si je décide d’utiliser mon pouvoir de faire tomber la foudre pour faire fuir les opposants, je m’attends à ce que, quels que soient les moyens utilisés, ils répondent à ces attentes : est-ce que je parviens à faire tomber la foudre et/ou est-ce que j’arrive à faire fuir les opposants.
Une bonne prévisibilité implique deux choses : le joueur qui entreprend l’action doit être assuré que le MJ ou quel que soit le participant qui joue l’adversité, ne doit pas déjouer, dérouter arbitrairement son intention ni amener des conséquences qui transgressent la causalité.
Cela se résume à respecter l’échec ou la réussite obtenu mécaniquement et l’implication des actions entreprises et des intentions énoncées, sans quoi la prévisibilité deviendrait caduque.
C’est humain d’essayer de prévoir le résultat de nos actions, si cette prévision est déjouée par la mécanique de résolution, c’est le risque nécessaire ; si c’est le MJ qui décide que non, ça peut sembler arbitraire et illégitime, surtout quand les dés (ou quel que soit l’indicateur de résultat) indiquait une issue positive.
3. L’indétermination
L’indétermination, c’est le fait d’avoir une part d’imprévisible dans le résultat ou les conséquences de l’acte du personnage.
Si le résultat est toujours strictement ce que le joueur veut, prévoit, voire annonce sans possibilité de surprise ou d’enrichissement, alors les événements deviennent trop mécaniques, l’impression de réel est ternie, fragilisée.
Il est donc important de permettre aux participants d’ajouter des nuances quant à la manière dont les choses adviennent et surtout de ne jamais définir à l’avance les résultats des actions entreprises.
4. L’influence
L’influence c’est la façon dont le système permet au joueur d’influer sur l’issue d’un conflit : quand la mécanique se résume à cela : « quand vous tentez telle action, lancez tel dé, si le résultat est équivalent à telle marge, c’est réussi, sinon c’est raté », cela tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa sa résolution. « Le dé décide » entend-on parfois.
C’est la même chose pour les valeurs fixes, le fait d’être soumis à la rigidité d’un niveau (chiffré ou non) sans pouvoir l’augmenter (généralement moyennant contrepartie) tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa résolution.
L’influence peut être amenée de différentes manières :
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faire un effort qui sera mécaniquement récompensé par une augmentation des chances d’obtention de l’issue désirée par le joueur ;
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faire un effort qui sera potentiellement récompensé par un ou plusieurs autres participants s’ils jugent que l’effort fourni est suffisant (ou en proportion de l’effort fourni) ;
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faire un choix, suivre un comportement qui augmente les chances d’obtenir l’issue désirée moyennant cependant une contrepartie ;
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choisir de forcer un résultat non désirée moyennant une contrepartie pour en transformer l’issue d’une façon qui convienne davantage au joueur.
5. Les risques
Les risques sont les conséquences « négatives » d’un conflit (je mets négatif entre guillemets car il peut s’agir parfois de la moins mauvaise issue au conflit pour le joueur qui s’y confronte).
Dans beaucoup de jeux, les seuls risques sont les blessures qui conduisent à la mort, la mise hors jeu et perdre ou casser son équipement. Il y a pourtant tellement à faire : qu’ils soient directs (vise le personnage lui-même), indirects (menace d’un proche par exemple), qu’ils soient physiques, psychologiques, sociaux, qu’ils mettent en péril l’intégrité du personnage, ses buts, ses idéaux etc. le risque est un élément essentiel de la mécanique de résolution.
Quand la mécanique de résolution d’un jeu ne comporte pas de réel risque pour les PJ ou pour ce qui leur est cher, les personnages n’écopent d’aucune conséquence négative lors de leurs conflits. Le seul fait de créer une jauge de vie et une jauge de folie en enchaînant les plaies et les délires psychotiques me paraît être la modélisation de risques la plus basique et inféconde pour l’histoire jouée.
Les risques bien amenés permettent à une relation des PJ de ne pas être uniquement décorative et c’est la même chose pour les causes, les croyances etc. Cela fait participer les éléments de background du personnage aux conflits en faisant d’eux des enjeux, mis parfois en balance avec ce que le personnage cherche à obtenir sur l’instant.
Pour intégrer les risques, vous pouvez déterminer une répercussion des coups adverses sur des jauges, sur les caractéristiques du personnage, sur ses Traits, etc. Le but principal est de créer une conséquence mécanique aux conflits et donc assurer que le personnage ne restera pas inchangé face aux événements importants pour le jeu. Si vous voulez qu’il ne change pas et qu’il soit un héros « intouchable », reportez les risques sur la population qu’il doit sauver ou dont il doit garantir la sécurité, sur ses idéaux etc.
Je pense qu’il y a quatre types de risques :
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les risques directs, visant le personnage lui-même (être blessé physiquement, psychologiquement, socialement, attaqué sur ses croyances, son histoire, ses valeurs etc.) ;
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les risques diminuant les ressources du personnage et donc sa capacité à atteindre son but (perte de puissance, de points d’une jauge, de ressources matérielles etc.) ;
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les risques indirects, visant ce qui est cher pour le personnage (ses relations, des PNJ qu’il protège, le gain de puissance de l’adversité etc.) ;
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les risques entachant la réalisation même de l’objectif du personnage (pousser à l’abandon, la trahison, le pousser à utiliser des méthodes répréhensibles, causer des conséquences indésirables entachant la résolution de son objectif etc. ).
6. Catalyser l’histoire
En amenant de l’imprévu et des conséquences fécondes pour l’histoire, les mécaniques de résolution permettent de donner à l’histoire une évolution insoupçonnable, de développer des enjeux, d’en créer de nouveaux, de changer les personnages, ce qui s’avère dynamisant pour l’histoire.
7. La spontanéité
Se passer de mécaniques de résolution formelles ne vous prive pas nécessairement de tout cela, mais pour l’atteindre, il faudra généralement le prévoir à l’avance ou se forcer à le faire. La présence de telles mécaniques n’a pour but et effet que de permettre aux participants d’appréhender tout cela avec spontanéité plutôt que par calcul, permettant d’explorer des enjeux que les participants n’auraient jamais abordé en leur âme et conscience. Cela peut permettre également de mettre de l’inconscient au milieu des choix conscients. C’est une manière de tirer parti de tous les cerveaux autour de la table plutôt que d’un seul.
Les mécaniques de résolution formelles brisent de surcroît la tentation d’être consensuel, ce qui insufflerait une dynamique molle à la fiction.
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Note : vous remarquerez que dans les mécaniques de résolution comme sur la structure générale d’une partie, principalement dans l’agencement de ses enjeux, il y a une similitude frappante quant au fait que le joueur doit pouvoir se projeter, être incertain de l’évolution de la ou des situations mais avoir une influence sur son issue (voir les articles « faire des ricochets sur l’eau » et « en cause et conséquence de la fiction »).
Je ne mets plus d’énigmes dans mes parties de jeu de rôle. Qu’il s’agisse d’énigmes posées comme tel (le sphinx vous pose une colle) ou d’intrigues sous forme de puzzle derrière laquelle il faut comprendre l’astuce qui mènera les joueurs à la dernière étape, je pense qu’elles souffrent toutes d’un énorme problème : le temps de jeu.
Lorsqu’on joue à un jeu vidéo, par exemple : Silenthill 2, où des énigmes ponctuent l’histoire, ou n’importe quel Point and Click, eh bien si l’on passe 3 heures bloqués sur une énigme, ça ne gâche pas le jeu plus que ça, après tout, c’est un temps nécessaire pour trouver cette foutue clef pour ouvrir la porte du boss. Et bien souvent, on peut aller buter des monstres ou explorer d’autres lieux, pour y revenir plus tard, l’esprit frais… On est bien au chaud seuls avec notre canapé et notre manette.
Mais en JDR, on a une contrainte sociale : on se retrouve à quatre pour partager une fiction interactive, c’est pas pour passer une heure sur six (voire sur quatre) à réfléchir ou à buter connement contre une énigme.
Et là, vous découvrez que l’assassin n’est pas Mister Johnson !
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Phil, le regard dans le vague : « merde, c’est qui alors ? » ;
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François regarde Sophie dans le blanc des yeux ;
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Sophie se gratte la tête : « ben, euh, on n’a plus de suspects » ;
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Le MJ ricane ;
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Phil se gratte le menton « qu’est-ce qu’on fait ? » ;
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François joue avec ses dés ;
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Phil se racle la gorge ;
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ad libitum…
Je caricature… un peu. Faites l’expérience un de ces quatre : enregistrez un de ces moments pendant votre partie. Attendez une semaine et réécoutez-le comme si c’était une séquence d’un film. Même 10 minutes de débats et réflexion c’est vite épuisant.
En réalité, le problème de fond vient du fait que la difficulté d’une énigme est difficile à harmoniser avec la perspicacité de vos joueurs. Si elle est trop facile, elle n’oppose pas vraiment de résistance et s’avère sans saveur, si elle est trop difficile, on se retrouve dans le cas de figure ci-dessus et ça peut vite devenir ennuyeux pour tout le monde. Si l’on arrivait à doser immanquablement, je ne dis pas, ça aurait peut être un intérêt.
C’est sans doute pour ça que les jeux d’énigmes sociaux n’existent pas.
Pour y palier, il y a quelques rustines :
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Les MJ tendent à ajouter des indices pour permettre aux joueurs de comprendre petit à petit un peu mieux le fond du truc ;
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c’est aussi bien vu de ne pas bloquer la partie à l’énigme, il peut y avoir d’autres choses à faire en attendant, mais quand on revient à l’énigme, on a généralement pas réfléchi plus ;
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l’énigme peut même être accessoire, afin d’éviter de bloquer la partie ;
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il y a aussi les énigmes « pour faire semblant » : le MJ propose une énigme dont il sait que les joueurs en ont la clef et donc, ils ne galéreront pas longtemps ;
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enfin, l’énigme que l’on peut résoudre en faisant autre chose (en allant capturer un PNJ, par exemple).
Tout ça pour dire : à quoi bon ? Dans les fictions, les personnages résolvent les énigmes pour le bien du scénario, on ne les voit pas réfléchir plus de 10 secondes. En JDR, on se tape ses moments qui durent parfois une éternité, où on se réunit un soir pour réfléchir collectivement à un problème que l’un d’entre nous a décidé de nous poser parce qu’il en avait envie…
Si vous êtes de véritables amateurs d’énigmes, jouez à des jeux vidéo ou à des jeux d’énigmes. Si vous aimez le JDR, n’y mettez pas d’énigmes.
En février 2009, j’ai posté mon premier article sur la synesthésie, depuis, j’ai eu l’occasion de prendre du recul, voici donc un état des lieux.
1) Le joueur ne peut pas ressentir la même chose que le personnage
Suite à une scène censée être prenante jouée au cours d’une partie, je me suis rendu compte qu’en fait, je n’avais clairement pas grand chose à faire de la situation donnée et pourtant, face à des dangers théoriquement moins importants dans la réalité, mon niveau de stress et ma peur pouvaient me faire trembler et accélérer mes battements cardiaques d’une manière affolante.
Je pense notamment à un soir, il y a maintenant pas mal d’années, où j’ai croisé un chien dans une rue de mon village, tard le soir. Le chien montrait les crocs et grognait, j’étais complètement chamboulé, la peur envahissait chaque parcelle de mon corps.
En y repensant, je n’ai jamais rien ressenti d’aussi fort en jeu de rôle, et pourtant, j’y ai bravé les pires horreurs et les plus grands dangers.
D’où la première remarque importante : le joueur ne peut pas ressentir ce que l’on pense que son personnage devrait, quelle que soit son implication dans le jeu.
2) Le personnage n’existe pas
En effet, la fiction crée une distance, l’illusion est loin d’être parfaite. Il ne suffit pas de dire que le personnage d’un joueur est terrorisé pour que le joueur le soit aussi. Cette distanciation est visible à de nombreux étages : comment puis-je éprouver de l’amour pour un personnage ? Pleurerais-je s’il meurt ? Craindrais-je pour la vie de mon personnage comme si c’était la mienne qui était en jeu ?
De ce fait, c’est le joueur qu’il faut cibler. On peut décimer la famille du personnage, le joueur peut très bien n’en avoir rien à cirer. En revanche, dès lors qu’une chose revêt une importance, un intérêt pour le joueur, cela se répercute automatiquement sur la fiction.
3) Enjeux fictifs et enjeux « ludiques » et créatifs
J’en arrive aux enjeux : selon moi, l’élément principal permettant de focaliser l’intérêt des participants sur une partie de JDR, ce sont les enjeux. L’enjeu est la perspective de gain ou de perte, il est le moteur principal de l’action. La synesthésie permet de placer le joueur au premier plan ; ce qui est important pour le personnage est moins important que ce qui est important pour le joueur :
Je pense qu’en JDR, la fiction nue est insuffisante pour que les enjeux fictifs présentent une vraie valeur aux yeux des participants. Sa dimension interactive et potentielle empêche d’appliquer efficacement les techniques des fictions linéaires, il faut donc trouver un nouvel angle d’approche. Et de ce fait, je pense que le véritable pouvoir du JDR se situe dans l’interrelation entre les enjeux fictifs et les enjeux « ludiques » et créatifs.
Pensez à cela dès que vous rencontrez un enjeu inhabituel, difficile à traiter. Prenons l’exemple d’un peintre cherchant à réaliser sa pièce maîtresse. S’il suffit de lancer un dé pour connaître la qualité de sa peinture, le joueur est exclu de l’enjeu, il ne peut pas se l’approprier.
En revanche, s’il doit décrire la peinture que réalise son personnage de manière à se soumettre au jugement des autres joueurs, ce jugement établissant la qualité effective de son œuvre, ou influant sur l’impression qu’en auront un galeriste et des critiques d’art, alors le joueur fait face à un enjeu créatif qui fait écho à celui auquel fait face son personnage et le renforce. C’est cela la synesthésie.
Cependant, il est très important de comprendre qu’une fois détaché de l’idée que le joueur peut accorder autant d’importance à un élément de fiction que ce qu’on voudrait que son personnage le fasse, il devient possible de proposer aux participants des enjeux ludiques et créatifs qui ne cherchent pas le mimétisme avec l’enjeu fictif, alors on peut concevoir un jeu de rôle comme autant d’invitations à la synesthésie par une coordination des différents types d’enjeux.
4) Prenons quelques exemples
Dans Breaking The Ice d’Emily Care Boss, on joue les trois premiers rendez-vous d’un couple. Un joueur met son personnage soit en position avantageuse, soit dévoile ses fragilités et ses blessures. Le but est de voir comment évolue cette relation et à quel point la séduction opère.
L’autre joueur doit manifester son intérêt pour les situations créées par son partenaire en lui donnant des dés et en lui permettant éventuellement de relancer les mauvais scores. Les joueurs sont donc aux prises avec des enjeux créatifs qui se calquent sur une représentation du processus de séduction.
Là où cette dynamique est forte, c’est qu’elle exploite la tendance des joueurs à s’identifier aux personnages et à éprouver de la sympathie pour eux (comme on le ferait avec n’importe quelle fiction) en dévoilant leurs faiblesses, leur histoire, leur personnalité… Il s’agit donc bien d’un processus aidant les joueurs à s’impliquer dans la fiction et à s’intéresser aux personnages.
Les joueurs pourraient le faire d’eux-mêmes, sans cette aide du système, mais l’implication deviendrait volontaire et principalement consciente, il n’y aurait plus de place au lâcher prise, tout serait calculé, forcé.
Dans Breaking the Ice, la synesthésie à l’œuvre fonctionne du fait que l’enjeu créatif est mimétique à l’enjeu fictif.
Autre exemple : dans Prosopopée, les joueurs développent une situation dans laquelle des problèmes affectant les populations humaines vont se révéler. La partie se finit avec la résolution des problèmes. Pour résoudre les problèmes, les joueurs doivent gagner des dés. Vous gagnez des dés quand ce que vous narrez plait à un autre participant. Remarquez à quel point ce procédé est proche de celui de Breaking the Ice.
Les joueurs narrent donc ce que font leurs personnages, créent des évènements, développent le contexte et ça leur rapporte des dés qui leur permettront de régler le problème final.
En fait, c’est le fait de révéler l’histoire et le monde qui permet aux personnages d’obtenir les moyens de résoudre les problèmes. Cependant, la règle ne dit pas « si vous trouvez un moyen de résoudre un problème vous gagnez un dé », mais bien « si ce que dit un joueur vous plait, récompensez-le d’un dé ».
Ce décalage entre enjeux fictifs et enjeux créatifs n’est absolument pas gênant pendant le jeu et crée une dynamique tout à fait surprenante : il consolide l’intérêt des joueurs pour ce que chacun dit en ajoutant un enjeu créatif, sans quoi le jeu semblerait terne. Je le répète donc, il n’est pas nécessaire que la façon de mettre en œuvre les enjeux ludiques et créatifs imitent l’enjeu fictif.
Ces deux exemples sont assez proches, ce qui me permet de mettre en avant leurs différences.
Il faut néanmoins prendre la mesure de la diversité possible en ce domaine : le simple fait qu’un Trait de « relation » vous donne un bonus lorsque ladite relation est impliquée dans un Conflit est une manière d’amener un enjeu ludique en soutien à un enjeu fictif.
J’entends beaucoup de rôlistes dire que pour eux c’est la fiction ou l’histoire qui compte le plus, mais généralement, du fait que l’un des participants fasse découvrir son monde ou son histoire aux autres, il y a des enjeux créatifs portant sur la qualité de son scénario, de sa mise en scène et accessoirement, du jeu d’acteur de chacun et ce sont ces enjeux qui sont à l’origine du plaisir des participants. Le problème se pose quand il n’y a aucun retour sur les efforts créatifs de chacun, ce qui risque d’annihiler purement et simplement l’attrait de ces enjeux et d’altérer fortement l’intérêt des participants pour la partie.
5) Conclusion
Ce qu’il faut tirer de cette théorie, c’est que pour créer un jeu ou aménager vos parties, vous devez faire en sorte que les enjeux fictifs importants deviennent des enjeux ludiques ou créatifs pour les joueurs.
Les enjeux fictifs sont multiples, il n’est pas judicieux d’essayer de tous les soutenir par des enjeux ludiques et créatifs et c’est là la force des conceptions de jeux qui cherchent à exploiter ce principe : ils ne ciblent que les enjeux centraux pour le jeu ou la partie et cadrent ainsi le « but du jeu », ce qui limite considérablement les risques de discordances et de désintérêt.
J’ai déjà parlé de la relation entre joueur et MJ comme la volonté et le monde. La réalité résiste, il nous est impossible, en tant qu’êtres humains, de casser un rocher à mains nues et pour convaincre quelqu’un il faut bien souvent du temps, des nerfs et de la sueur. Ce qui m’intéresse dans cet article, c’est la tension fertilisante qui existe entre différents participants. Le JDR donne une illusion de réalité en créant un rapport de force entre les différents participants, pour une bonne dynamique, il est important de créer une résistance saine. J’appelle cela la résistance asymétrique : elle fonctionne du fait que les rôles des participants diffèrent à une partie de jeu de rôle.
Ne pas confondre avec le « passage en force », la résistance asymétrique est une dynamique voulue par les participants. Une résistance saine utilise le système en tant que médiateur entre les participants, alors que le passage en force est la manière dont un participant impose ses idées à un groupe réfractaire, ou de telle façon que ça porte préjudice à d’autres participants en niant leur liberté ou leurs choix.
La résistance asymétrique est le contraire du consensus, le consensus est utilisé pour que tout le monde soit d’accord sur la partie jouée ensemble, éviter les grands désaccords et les fourvoiements de direction, mais cela ne signifie pas établir ce que la partie sera avant de la jouer, mais plutôt définir les limites et la démarche créative que l’on souhaite. Le consensus peut être recherché en amont d’une partie ou d’une scène, mais s’il est utilisé à tout autre moment de la partie, il tend à ramollir le jeu en se substituant à la résistance asymétrique, l’histoire ne menace plus de prendre une direction différente de celle désirée, elle se soumet aux envies des participants. Cela peut être intéressant de choisir le type d’histoire jouée, mais en aucun cas il n’est intéressant d’avoir un contrôle sur l’évolution de l’histoire.
La résistance asymétrique quant à elle se situe au cœur de ce qui est important : si les joueurs cherchent à accomplir une chose, il faudra d’autres participants qui s’y opposeront, qui leur donneront la réplique. La situation est la rencontre entre les personnages et le contexte. Si un seul joueur gère seul l’ensemble d’une situation, aucune résistance ne lui est opposée. Il faut donc des partenaires de jeux qui complèteront les situations. Le fait même qu’un autre participant ait la charge de contrôler des parties de la fiction auxquelles je n’ai pas accès constitue la base de la résistance asymétrique.
Le système de résolution constitue souvent le nœud de la résistance, mais il en existe d’autres : il peut s’agir de la mise en œuvre d’un cycle d’approbation : si mon personnage agit de façon héroïque, un autre participant me récompense, s’il juge que c’est bien le cas, d’un bonus. La résistance se situe ici entre l’adéquation avec la règle et la créativité dont fait preuve le premier joueur et le jugement du second. Plus le second sera exigeant et le premier peu imaginatif et plus la résistance sera rigide. Plus le second sera généreux et le premier imaginatif et plus la résistance sera souple. Mais l’important n’est pas d’avoir une résistance trop rigide, ce qui risquerait de décourager les participants, ni d’en avoir une trop souple également, sans quoi la partie risque de paraître fade (voir la question du consensus). Si vous n’avez aucune assurance d’avoir une résistance équilibrée, n’hésitez pas à instaurer une progression.
La résistance asymétrique, c’est la manière dont les interactions entre les personnes réelles rendent les issues incertaines des choix et propositions des participants. La résistance implique que chacun ne peut pas faire tout ce qu’il veut. La résistance asymétrique donne aux participants une emprise partagée et c’est ce partage qui fait que chaque personnage est limité.
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Confrontation : lorsque deux participants veulent des choses contradictoires, il y a Confrontation. Les systèmes de résolution visent à résoudre ces désaccords, grâce à l’impartialité du système. Les participants doivent avoir une prise sur le système de résolution. S’il fonctionne sans le concours des participants, ce n’est pas une résistance asymétrique, juste une résistance mécanique. Si un joueur peut faire abandonner l’autre, il y a rapport de force, que ce soit en l’intimidant, en négociant etc. comme nous allons le voir dans les points suivants. Dans le cas où c’est un seul joueur qui arbitre, il faut contrebalancer son pouvoir afin d’éviter que l’arbitraire de ses décisions ne rende la résistance trop rigide ou trop souple, inéquitable, voire consensuelle entre les participants.
On pourrait imaginer que la Confrontation est présente dans tous les jeux, mais ce n’est pas forcément le cas. Un jeu comme Breaking the Ice de Emily Care Boss fonde les échanges uniquement sur les interactions positives, l’incertitude reposant sur leur fréquence, leur quantité et la clémence des dés.
Dans Prosopopée, il existe des mécaniques de résolution qui ne mettent pas en opposition les participants entre eux, mais qui les opposent à une résistance mécanique.
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Compétition/défis : plusieurs participants se disputent un enjeu et usent de leurs ressources personnelles (logique, inventivité, calcul…) pour l’atteindre. Il y a jugement porté sur l’aptitude et la performance du participant. Les mécaniques qui permettent de surmonter cette résistance doivent être impartiales. Les participants créent les opportunités, estiment les risques, peuvent s’intimider, jouer au bluff, etc. Si cette résistance se joue sans les participants, elle n’est plus asymétrique, mais une résistance mécanique, comme cela peut arriver dans certaines pratiques n’offrant pas aux participants la possibilité d’influer sur le résultat des Conflits.
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Négociation/chantage : consiste pour un participant à mettre en balance plusieurs enjeux d’un autre participant, afin de lui imposer un choix dont on ne peut prévoir à l’avance lequel sera fait. Aucun choix ne doit être dénué de contreparties. Cela peut donner lieu à de véritables dilemmes, mais ce n’est pas obligatoire, le simple fait de promettre une perte induit un jugement de valeur sur le choix produit.
Cette dynamique est fortement prescrite par les règles de jeux comme Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, Polaris de Ben Lehman et bien d’autres. Elle prend racine dans la manière dont les situations se constituent et se trouve verrouillée durant les Conflits, afin que les joueurs ne puissent pas trouver d’autres moyens de faire et se confrontent donc à la situation comme à un choix difficile, plutôt qu’un problème auquel il faut trouver la meilleure solution.
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Séduction : un participant cherche à coller aux attentes d’un ou plusieurs autres, ou à les surprendre positivement. La séduction doit s’inscrire dans le respect d’un canon esthétique et le développer, ou doit chercher à entrer en résonance avec la sensibilité des participants.
Dans Prosopopée, les joueurs doivent se récompenser quand l’un d’entre eux narre quelque chose qui leur plait. Les joueurs sont donc invités à accorder de l’importance à la qualité de leurs narrations et à explorer leur créativité.
Dans Breaking the Ice, le Guide récompense le Joueur actif quand celui-ci met son personnage à son avantage ou quand il agit de manière flatteuse envers le personnage du Guide. Ici, la séduction joue par résonance avec le processus de séduction entre deux personnes.
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Sympathie/antipathie : les participants, feront en sorte d’attirer la sympathie d’un joueur pour un personnage en dévoilant qui il est, son histoire, ses faiblesses et ses souffrances. Il peut également jouer sur l’antipathie et plus subtilement sur un jeu de sympathie/antipathie du personnage qui commet des actes immoraux mais avec de bonnes raisons, ou l’inverse. C’est généralement par les actes des personnages que se joue cette résistance.
Zombie Cinema de Eero Tuovinen donne une certaine importance à cette dynamique : le principe de « soutien » demande au joueur de prêter son dé gratuitement à un autre joueur pour augmenter ses chances de résoudre favorablement un Conflit. Ce qu’éprouve le joueur qui soutient envers le personnage tendra à justifier son choix. La mécanique de sacrifice joue d’une façon similaire, car elle permet de sauver la vie à un personnage. Un joueur ne le fera pas pour n’importe quel personnage, car cela peut mettre en danger, voire faire mourir le sien.
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Rétention/fascination : cette résistance tire parti des mystères et des secrets. Elle met un participant en position de force (généralement le MJ), car il possède des informations que les autres n’ont pas et dont le but est de les amener à s’y intéresser, à créer une soif de découverte ou de compréhension. Il distillera les informations en fonction des choix des autres participants. Le but est d’utiliser ces moyens pour intriguer le joueur et le faire aller de l’avant. Il est important que les autres participants aient en contrepartie des espaces de créativité et une emprise sur certains enjeux afin d’éviter d’avoir l’impression d’être menés par le bout du nez. Il est préférable que les informations soient données selon un procédé transparent ; pas consensuel, mais le sentiment que le don d’information est arbitraire peut nuire à la l’implication des joueurs.
Sens Renaissance de Romaric Briand utilise ce procédé, car les secrets du monde ne se dévoilent que petit à petit et seul le MJ en est le gardien. C’est un procédé courant dans le monde du JDR, mais il confine souvent au participationnisme ou à l’illusionnisme, ce qui n’est pas, à mon avis la meilleure façon d’en tirer parti…
Innommable de Christoph Boeckle dans ses versions 007 à 009 utilise également ce procédé pour faire aller les joueurs de l’avant : le MJ a préparé une menace qui se dévoile progressivement par des indices et des évènements ambigus. Les joueurs ont une prise indirecte sur la nature de la source de la menace (généralement, un secret occulte, une créature indicible), par l’intermédiaire de monologues faisant sombrer les personnages entre surnaturel et folie, ils donnent forme à la menace. Le MJ, lui contrôle essentiellement les adversaires : humains voulant tirer parti de la source.
C’est assez rare, mais je suis convaincu qu’il est possible de donner des informations secrètes à plusieurs participants et de les intégrer à la partie petit à petit.
Il existe d’autres relations un peu différentes, plus ou moins fonctionnelles :
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Participationnisme : un des participants (le MJ) connaît l’histoire à l’avance et les autres joueurs acceptent de la suivre, quitte à sacrifier leur liberté. Ils s’efforcent de coller aux attentes de celui qui dirige. Il est important que les joueurs aient pleine connaissance du fonctionnement de la partie et qu’ils l’acceptent, sans quoi, il peut y avoir friction. Ce principe joue donc sur un consensus, avec toutefois un enjeu de taille : celui qui dirige a pour tâche de donner aux autres quelque chose qui leur plait suffisamment pour justifier son contrôle sur l’Espace Imaginé et Partagé. Il s’agit souvent d’une forme de rétention/fascination poussée jusqu’à l’extrême. La différence se situe à l’endroit que la rétention peut être produite sur des éléments indépendants des choix des joueurs, alors que le participationnisme s’efforce de faire s’accomplir la destinée des personnages avec la complicité des joueurs.
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Illusionnisme : le MJ fait croire aux joueurs qu’ils sont libres, mais il orchestre tout secrètement. Les choix des joueurs n’ont pas de réelle importance puisqu’ils mèneront toujours là où le MJ l’a prévu. L’illusionnisme constitue un rapport de force vicié, car l’enjeu est généralement trop grand pour le MJ pour pouvoir maintenir l’illusion en permanence. Dès que les joueurs s’en rendent compte, le jeu risque d’être rompu pour eux. L’illusionnisme compile un ensemble de Techniques visant à cacher la manière dont les décisions sont véritablement prises, par exemple, le MJ décide des niveaux de difficulté sans en parler aux joueurs afin de pouvoir les modifier secrètement et ainsi décider ce qui réussit et ce qui échoue conformément à l’histoire qu’il veut obtenir, sans se soucier réellement des résultats des dés. Les joueurs, eux, lancent leurs dés pensant que le résultat importe, ce qui n’est pas le cas. Si les joueurs se rendent compte que ça ne sert à rien, ils n’auront plus d’intérêt à lancer les dés.
Il est important de garder à l’esprit que les différents rôles mis en œuvre n’ont pas besoin d’être figés sur toute la durée d’une partie, il peut y avoir alternance : le joueur jugeant devient le joueur jugé, celui qui dresse les confrontations peut devenir celui qui les subit en cours de partie, etc.
Une séance de JDR n’utilise généralement pas qu’une seule de ces résistances asymétriques. Il n’est pas évident de prédire quelle sera la résistance asymétrique à l’œuvre durant une partie et pour les créateurs de jeux, je suggère de vérifier pendant les parties les dynamiques à l’œuvre pour les renforcer ensuite.
Je n’ai jamais vu une partie toutes les mêler sans créer des clivages entre les participants, mais on peut facilement en mélanger jusqu’à trois. Elles sont liées aux démarches créatives, mais on ne peut pas les y limiter : un jeu de rôle qui soutient une démarche créative « story now » comme Zombie Cinema fonctionne par un mélange de Confrontation (les joueurs sont souvent en opposition, les mécaniques de résolution de Conflit permettent de les départager), de sympathie/antipathie (les autres joueurs choisissent de soutenir un joueur en fonction de la situation, la sympathie/antipathie pour le personnage jouant un grand rôle ; le fait de pouvoir se sacrifier pour sauver un PJ fonctionne aussi sur ce principe) et de négociation (la règle de sacrifice et le choix de lancer ou non un Conflit peuvent amener les joueurs à privilégier un choix en sacrifiant autre chose).
Breaking the Ice fonctionnant selon une proposition créative similaire à Zombie Cinema n’utilise pourtant pas la Confrontation et place la séduction au premier plan. Il peut donc y avoir des différences nettes de résistances asymétriques dans des jeux soutenant le même type de démarche créative.
Chaque partie de Zombie Cinema se centre plus sur certaines résistances asymétriques que sur d’autres, certains pourront faire des efforts pour rendre leurs personnages sympathiques quand d’autres se concentreront sur la négociation/chantage.
Les questions que l’on doit se poser lors d’un game design, sera qui assume quel part de ces schémas : sont-ils plusieurs à assumer le même rôle ? Ou est-ce une personne indépendante ? Cette organisation peut-elle changer pendant la partie ? Y a-t-il des exceptions ?
C’est en différenciant les rôles et les tâches des participants, que ce soit de façon temporaire ou permanente, que vous produirez ces dynamiques de résistance asymétrique. Quand vous avez repéré celles qui prédominent dans les parties de votre jeu, vous devriez parvenir plus facilement à discriminer les techniques qui y sont appropriées et celles qui les parasitent.
Par exemple, il peut être difficile de faire fonctionner une résistance fondée sur la séduction s’il y a une compétition qui positionne un participant à la fois comme juge et compétiteur, tout comme l’utilisation de secrets peut donner aux joueurs le sentiment que les choix d’un « chantage » ne sont pas les seuls possibles et qu’en creusant ils pourront contourner le dilemme proposé…
Les commentaires sont toujours les bienvenus.
Je propose ma propre démarche pour créer un jeu. Peut-être vous conviendra-t-elle, peut-être que non. Je constate que fasse à l’étendue des possibilités de game design émergeant des théories forgiennes, il n’est pas toujours facile de savoir comment s’y prendre ; si vous êtes dans ce cas, j’espère que cette petite méthodologie pourra vous aider.
En général, j’aime bien commencer un jeu par n’importe quel bout, ce qui me vient à l’esprit : comment on définit les personnages, le système de Conflit, puis je fais un plan de tous les chapitres qui me sembleraient importants pour un tel jeu et je les développe. En général, le jeu changera tellement que tout ceci devra être pris comme un premier jet.
La structure ci-dessous doit être prise comme un guide pour brosser les grandes questions, au cœur d’un game design. Ne cherchez pas à y répondre point par point, mais ayez-là en tête ou référez-vous-y quand vous ne savez pas quoi faire et reportez-vous aux articles qui y sont rattachés.
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La thématique du jeu : de quoi parle votre jeu ? Réfléchissez aux éléments de fiction qui vont le composer et surtout quel est son sujet central ? S’agit-il d’une question à laquelle les joueurs répondront en jouant ? Ou le jeu se présentera-t-il comme un exposé de la part du MJ sur un sujet ? Ou s’agit-il simplement de mettre à l’épreuve vos joueurs ? De leur procurer une expérience précise ? De célébrer une fiction en la revivant en JDR ? … TOUTES LES AUTRES QUESTIONS CI-DESSOUS DEVRONT TOUJOURS SE RÉFÉRER À VOTRE THÉMATIQUE, CE SONT DES ÉTAPES À SA MISE EN ŒUVRE.
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Une scène type : imaginez une scène type que l’on pourrait rencontrer dans votre jeu. Qui sont le ou les protagonistes ?
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La pratique de votre jeu1 : quels éléments de votre système confèrent sa spécificité à votre jeu lorsque pratiqué par des personnes réelles ?2 Quel est votre parti pris, votre vision sur la manière dont il doit être pratiqué ?
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Éléments en tension : que veulent/doivent atteindre les personnages, pourquoi agissent-ils ?3 Quelle est l’adversité ?4 Que risquent-ils ?5
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Enjeux ludiques : quels sont les enjeux des joueurs (et non des personnages) ? Sur quel aspect du jeu devront-ils porter leur attention, leurs efforts et faire des choix difficiles ?
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Quels sont les espaces de créativité des joueurs ?6 Sur quoi ont ils un contrôle en dehors de leur personnage ?7 comment permettez-vous aux participants de diriger, d’unifier, d’exploiter ou de développer la Couleur ? S’agit-il d’éléments préparés ou d’incitation ?
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Quelles sont les ressources à la disposition de vos joueurs pour obtenir ce qu’ils veulent ? Quelles sont les limites ou les contraintes ? Par quels moyens peuvent-ils faire en sorte de se rapprocher du résultat escompté ?
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Récompenses : quelle est la principale récompense mécanique fournie par le système ? Quels comportements des joueurs voulez-vous encourager ? Quels comportements voulez-vous décourager ?
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MJ : y a-t-il un seul MJ ou ses responsabilités sont-elles partagées ?8 Les joueurs ont-ils un contrôle large sur les éléments du contexte et sur l’intrigue ? Comment adaptez-vous son (ses) rôle(s) de manière à répondre à la thématique ? L’adversité se joue-t-elle entre les PJ ou contre des PNJ ? Les PNJ sont-ils importants et centraux ou sont-ils juste des faire-valoir ?
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Contexte : quel rôle joue le contexte ? Mérite-t-il d’être développé ?
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Préparation : une préparation préalable à la partie est-elle nécessaire ? Que permet-elle de faire qui soit difficile à faire en improvisant ? Quelle tâche des participants permet-elle de libérer pendant la partie ?9 Concevez-vous une fiche de personnage ? En quoi interagit-elle avec les éléments en tension, les enjeux ludiques et les récompenses ?
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La synergie : comment assurez-vous aux participants de pouvoir s’accorder, s’harmoniser sur la manière de jouer au jeu, le plaisir qu’ils peuvent en tirer, les limites à ne pas franchir, comment préserver la crédibilité de la fiction ?10
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Votre point de vue : Il s’agit d’intégrer dans le fonctionnement de votre jeu votre regard sur l’Homme ou sur le Monde, que ce soit inspiré de vos observations de la vraie vie ou de fictions existantes11. Cela doit être inscrit dans le système.12
Chaque point mériterait un article à lui tout seul, donc n’hésitez pas à laisser des commentaires si vous voulez qu’on les développe un peu.
La structure de cet article est inspirée d’un article de Vincent Baker, Your three insights : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=490
Certains développements sont inspirés du Power 19 de Troy Costisick : http://socratesrpg.blogspot.com/2006/01/what-are-power-19-pt-1.html
1Voir Faire des ricochets sur l’eau : http://froudounich.free.fr/?p=1017
2Voir Le JDR est potentialité : http://froudounich.free.fr/?p=829
3Voir Organisation des obkectifs des personnages : http://froudounich.free.fr/?p=937
4Voir Les situations de crise :http://froudounich.free.fr/?p=863
5Voir En cause et conséquence de la fiction : http://froudounich.free.fr/?p=1021
6Voir Responsabilité et propriété : http://froudounich.free.fr/?p=846
7Voir La volonté et le monde : http://froudounich.free.fr/?p=982
8Voir Qu’est-ce qu’un Maître du jeu ? http://froudounich.free.fr/?p=870
9Voir Les trente-six travaux (d’Hercule) du MJ : http://froudounich.free.fr/?p=991
10Voir Émetteur – récepteur : une histoire de jugement : http://froudounich.free.fr/?p=956
11Voir Le réalisme est une chimère : http://froudounich.free.fr/?p=755
12Voir Le GNS est un outil : http://froudounich.free.fr/?p=533
Une technique en soi n’a aucune valeur, c’est sa relation aux autres qui en fait son intérêt et la qualité du jeu. Elles s’imbriquent les unes aux autres sur différents niveaux du système.
Tout d’abord, définissons le terme « Technique » en jeu de rôle :
Specific procedures of play which, when employed together, are sufficient to introduce fictional characters, places, or events into the Shared Imagined Space. Many different Techniques may be used, in different games, to establish the same sorts of events. A given Technique is composed of a group of Ephemera which are employed together. Taken in their entirety for a given instance of role-playing, Techniques comprise System.
Procédures de jeu spécifiques qui, employées ensemble, suffisent à introduire les personnages fictifs, les lieux ou les évènements à l’intérieur de l’Espace Imaginé et Partagé. Des Techniques variées peuvent être utilisées dans différents jeux, pour établir le même type d’évènements. Une Technique donnée est composée d’un groupe « d’Éphémères » utilisés ensemble. Prises dans leur intégralité au cours d’une session de jeu de rôle, les Techniques constituent le Système.
(définition du Provisional Glossary)
Voici les différents niveaux d’un système :
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Les mécaniques incitatives
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Les boucles
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Les embranchements
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La dérive
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Le système
1 – Les mécaniques incitatives
Les mécaniques incitatives sont composées de plusieurs techniques qui s’imbriquent par des enchevêtrements de nécessités, de moyens, des risques et de récompenses.
Je vais prendre comme exemple un de mes jeux en développement : Rônin.
Prenons une imbrication de techniques :
Dans Rônin, les Conflits sont fréquents.
-
a) pour augmenter ses chances de remporter un Conflit, il faut bien se nourrir ;
- b) pour se nourrir, il faut réaliser les boulots proposés par les habitants.
Pour comprendre la manière dont les techniques composent les mécaniques, voici un développement : par défaut, un joueur lance 1 à 3 dés pour résoudre un Conflit. Il additionne ses deux dés les plus forts ; s’il surpasse la difficulté posée par le MJ, il gagne, autrement, il reçoit une « complication » (faisant office de dégâts, de risques, de problèmes etc.). La réserve de satiété compte de 0 à 5 dés. Quand un PJ se nourrit, la réserve augmente. Il peut utiliser ses dés pour augmenter ses chances de succès en Conflit, mais chaque dé utilisé est perdu.
Le principe fondamental de la mécanique incitative, c’est d’appeler les participants à adopter un certain comportement pendant les parties.
Dans Rônin, les joueurs ne sont pas obligés de se concentrer sur les boulots en fonction de la récompense (les primes et les repas), mais ça aura pour conséquence de les affaiblir face à l’adversité.
2 – Les boucles
Plusieurs mécaniques s’alimentent mutuellement.
Toujours dans Rônin, prenons une autre mécanique très liée à la précédente :
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c) les boulots exigent bien souvent des Conflits ;
- d) plus la situation progresse et plus les Conflits sont dangereux, donc plus les échecs seront graves (ce qui augmente le besoin de se nourrir) ;
Voici donc un schéma de la manière dont ce dernier segment se relie au précédent pour former une boucle.
3 – Les embranchements
En fonction des jeux, les embranchements peuvent revêtir différents aspects ; ils sont différents chemins que peuvent prendre les séquences de jeu.
Voici un embranchement que l’on trouve dans Rônin :
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e) la préparation du MJ consiste à amener des choix mettant à l’épreuve la valeur du PJ (il s’agit d’un Trait qui crée des conséquences négatives quand il est transgressé) et le sens moral du joueur ;
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f) si le joueur transgresse la valeur du PJ (pour satisfaire son propre sens moral ou pour obtenir des points de satiété), il écope d’une complication automatique ;
- g) si le joueur respecte sa valeur à tout prix, il risque de commettre des actes immoraux d’une autre nature.
Mais un embranchement peut tout aussi bien être :
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h) il y a deux issues possibles à un Conflit :
- i) gagner : l’action du PJ est un succès, celle de son adversaire échoue ;
- j) perdre : l’action du PJ échoue, celle de son adversaire est un succès.
Notez cependant qu’un embranchement doit toujours découler d’un choix du joueur ou d’un effort pour aller dans un chemin plutôt qu’un autre.
Dans d’autres jeux encore on peut trouver :
-
un personnage résoudra le problème ;
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qui sera-t-il parmi les PJ ?
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De quelle manière le fera-t-il ?
4 – La dérive
La dérive consiste en un ou plusieurs chemins que les joueurs devraient chercher généralement à éviter, ou a choisir par sacrifice.
Il s’agit des risques qu’encourent les PJ, de menaces, de fautes etc.
Par exemple voici une dérive que l’on trouve dans Rônin :
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k) en perdant un Conflit, en transgressant une valeur ou en faisant une promesse, les joueurs écopent d’une « complication » ;
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l) au bout de trois complications, le joueur obtient un point de « déchéance », ce qui permet au MJ de lui faire subir une affliction, touchant son intégrité physique, psychique ou sociale ;
- m) au bout de quatre points de déchéance, le personnage est définitivement perdu, le joueur raconte sa fin : il peut mourir, perdre la raison, s’exiler etc.
La dérive tend à créer une attraction, il s’agit d’un pôle du système. L’autre pôle est la résolution positive des objectifs des joueurs.
5 – Le système
Le système est composé de tout cela : un ensemble de boucles et d’embranchements eux-mêmes composés de mécaniques incitatives, elles-mêmes composées de techniques.
Le présent schéma représente un assemblage de toutes les mécaniques du jeu Rônin décrites dans les paragraphes précédents. Le système décrit ici n’est pas complet, mais son squelette est déjà en place. Les astérisques symbolisent les points à développer, certains peuvent être reliés à d’autres. Il manque notamment un développement des issues positives qui permettent aux joueurs d’atteindre leurs objectifs, mais dans ce jeu, leur seule présence suffit à son bon fonctionnement, quand dans d’autres jeux, il faut des mécaniques incitatives complexes pour motiver les joueurs à aller de l’avant.
Enjeux
Tout cela permet de mettre en relief les enjeux principaux que le système induit dans les parties.
Un système possède des enjeux « dominants » et des enjeux « toniques ». En peinture, la couleur dominante est celle qui est la plus présente sur la toile, la couleur tonique est moins présente, mais indispensable, c’est grâce à l’une que l’autre prend toute sa dimension.
En jeu de rôle, j’utiliserai ces termes pour parler de l’importance effective (et non leur récurrence) de ces techniques dans le fonctionnement de la partie, c’est à dire en tant qu’elle constitue l’enjeu premier des joueurs pour la dominante et l’enjeu moindre mais nécessaire pour la tonique.
Prenons l’exemple de Sens Renaissance :
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le joueur sera jugé par le MJ pour l’interprétation de son personnage et gagnera des points d’immersion positive ou négative ;
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le joueur est donc incité à développer le canon de la fiction tout en la respectant ;
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les faits qu’il a créés avant de jouer sont un très bon terreau pour trouver l’inspiration et un très bon guide pour rester dans les clous.
Il s’agit là de l’enjeu dominant.
-
Lorsqu’une épreuve a lieu, le MJ confronte le score de rune (équivalent aux caractéristiques) à celui de son adversaire ;
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en fonction de l’action que narre le joueur ;
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il peut réussir ;
-
ou échouer.
Ceci est en réalité un enjeu tonique car cette mécanique a beau être fréquemment utilisée et ainsi, paraître centrale, les résultats sont courus d’avance puisque le MJ compare des scores fixes. Les joueurs n’y éprouvent donc aucun enjeu (contrairement à ce que la fiction suggère) puisqu’ils ne peuvent pas en changer le dénouement (sauf en utilisant une forme de miracle et en acceptant une sanction ou des ombre-pouvoirs (forme de magie) seulement dans les circonstances adaptées).
Les Caractéristiques (runes) et les traits (faits) agissent ici comme un normalisateur de comportement, le joueur en s’y référant conforme son personnage.
Bien sûr, la liberté d’action demeure grande, mais les enjeux des joueurs se situent à ces deux niveaux et non pas dans l’exploration des conséquences de leurs actes. Le fait que certains évènements importants durant les parties soient contrôlés par le MJ, prévus à l’avance et immuables renforce l’anesthésie (volontaire) de ces enjeux fictifs.
Un game design doit comporter des enjeux dominants et toniques pour orienter correctement les joueurs dans l’ensemble des propositions du jeu : les uns s’effacent légèrement pour mettre en valeur l’enjeu dominant.
Je vais traiter ici d’un sujet qui peut paraître évident pour beaucoup, mais en réalité, il est facile de perdre de vue son importance. J’ai trouvé notamment des erreurs de ce type dans des jeux innovants.
Je vous incite à observer avec attention les distinctions que je vais faire entre « joueur » et « personnage » tout au long de cet article.
Pour faire simple, un joueur cherche, dans une partie de jeu de rôle, à prendre des décisions en réaction aux situations fictives et par prospective, de façon à atteindre un objectif fictif attribué à son personnage.
C’est ce que j’ai appelé dans un de mes précédents articles « prendre des décisions en cause et en conséquence de la fiction » (voir : http://froudounich.free.fr/?p=926 chapitre 1.3.1)
Une bonne partie de jeu de rôle devrait donner aux joueurs un objectif, (à long terme : devant se résoudre à la fin de la partie) des motivations et des enjeux situationnels (dans l’instant) ; il est primordial de faire en sorte que tout cela soit aligné.
a) Imaginons un exemple d’objectif : un PJ cherche à se venger d’un juge.
L’objectif est un horizon à atteindre, ce pour quoi on va faire agir le personnage, quitte à lui faire surmonter des épreuves.
b) De manière à ce que ses actions ne soient pas gratuites, il faut donner aux personnages des motivations, des raisons d’agir : « c’est mon devoir », « ma survie est à la clef » ou « c’est l’ennemi de mon espèce » sont valables, mais une motivation personnelle peut être aussi intéressante, par exemple : « le juge a condamné à mort mon frère » (que ce soit à raison ou non peut fonctionner si le jeu est adapté aux différences que cela peut engendrer). Parfois, les joueurs créeront des motivations à leurs personnages en cours de partie, parfois l’objectif contient lui-même une motivation, mais parfois ça ne sera pas le cas. L’absence de raisons d’agir peut tuer toute profondeur, voire toute justification à l’histoire.
c) Les enjeux situationnels ou « péripéties » ou encore « obstacles » sont ce qui se situe entre le point de départ et l’issue de l’histoire (censé répondre à la question : l’objectif sera-t-il atteint?).
Bien entendu, personne n’a envie d’une histoire où l’on atteint l’objectif sans risque, sans le moindre problème, quoiqu’il faille admettre qu’en JDR, l’absence d’enjeux pour le personnage peut être compensé pour le joueur (par exemple au niveau esthétique), mais dans tous les cas, l’absence d’enjeux pour le joueur est dommageable.
Les enjeux situationnels vont donc créer une force contraire sur le chemin qui mène à la résolution de l’objectif (que ce soit une réussite ou un échec, qu’il soit total ou en demi-teinte).
Exemples d’enjeux situationnels : un proche du juge le craint trop pour se laisser soudoyer ; un sbire du juge commet un attentat contre le PJ pour le faire taire ; un de vos amis tente de vous dissuader de vous venger…
Ces trois points sont ce sur quoi va se focaliser l’attention des joueurs durant la partie. Il est très important qu’aucun de ces trois points ne soit absent ou ne manque de force, par exemple, on ne peut pas demander à un joueur de devoir amener les enjeux situationnels pour son propre personnage ; l’objectif ne doit pas être flou ou incertain ; un objectif pour lequel le joueur ne peut trouver de motivation viable est à proscrire ; jouer un personnage inhumain implique une absence de motivations personnelles et s’avère donc injouable…
Mais cela ne suffit pas :
chaque choix que va devoir faire le joueur doit être lié à l’objectif ou par rebond, à un élément qui est lui-même lié à l’objectif.
Par exemple : il doit convaincre un informateur qui a des révélations importantes à lui faire au sujet de la condamnation de son frère, de lui parler ; ici, l’enjeu est directement lié à l’objectif.
En revanche, si quelqu’un agresse la petite amie d’un PJ, sans que cela ait de relation avec l’objectif principal, vous perdez en attrait et en cohérence.
Cela n’est pas vrai que pour les éléments fictionnels : ça vaut aussi pour les mécaniques du jeu :
Si une règle spécifie qu’en utilisant la violence vous augmentez vos chances de résoudre un Conflit, vous serez tentés d’utiliser cette technique puisqu’elle vous aidera à atteindre votre objectif (à condition que les enjeux situationnels se rapportent à votre objectif…).
Si une règle dit qu’en accomplissant des objectifs secondaires (par exemple : gagner la fierté du parrain [admettons que votre PJ est un mafieux]) vous gagnez des dés que vous pourrez utiliser pour augmenter vos chances de réussites de Conflits, il est possible que les joueurs s’y intéressent moins.
Si une règle dit qu’en utilisant la violence vous pouvez résoudre plus facilement vos objectifs secondaires, mais que les objectifs secondaires n’ont rien à voir avec votre objectif principal, il est possible que les joueurs ne s’y intéressent en revanche pas du tout.
L’enjeu le plus important est souvent privilégié par le joueur : si vous mettez plusieurs enjeux en balance, attendez-vous à ce que le joueur sacrifie celui qu’il juge le moins important pour privilégier celui qu’il juge le plus important.
Par exemple : le PJ doit sauver le monde, mais que sa femme le menace de divorcer, beaucoup de joueurs risquent de se désintéresser de cette histoire de divorce.
Mais si vous faites en sorte que l’un de ces deux objectifs est dépendant de l’autre, (si ma femme divorce, je serai trop perturbé pour m’investir pleinement dans ma mission) alors vous pourrez peut-être les faire cohabiter. Mais il faut trouver une manière élégante de rendre le risque effectif si vous voulez éviter que l’intérêt des joueurs pour le divorce soit artificiel.
Si le joueur choisit lui-même ses objectifs intimes, il tend à s’y intéresser davantage. Si les objectifs sont hiérarchisés et que la réussite des uns dépende des autres, vous incitez favorablement.
Enfin, dans le cas où les PJ n’ont pas tous le même objectif : certains jeux proposent aux joueurs dont le PJ ne participe pas à une scène, de s’occuper de certains éléments importants de la scène (jouer d’autres PNJ, par exemple). Si votre jeu ne fonctionne pas de cette façon, il est impératif que les objectifs de chaque PJ intéresse les autres joueurs.
Mais le simple fait que les PJ soient amis ne suffit pas forcément. Il vaut mieux que tous les objectifs soient reliés à la même histoire, que ce que font les uns aura une incidence sur l’objectif des autres, et que ce soit clair pour tout le monde, sans quoi, les joueurs risquent de se désintéresser des scènes auxquelles ils ne participent pas.
J’ai essayé d’être le plus concis possible, les questions sont bienvenues.
Voici d’autres articles qui abordent des sujets similaires :
Faire des ricochets sur l’eau : http://froudounich.free.fr/?p=1017
La volonté et le monde : http://froudounich.free.fr/?p=982
Emetteur – récepteur : une histoire de jugement : http://froudounich.free.fr/?p=956
Organisation des objectifs des personnages : http://froudounich.free.fr/?p=937
Qui conduit l’histoire ? http://froudounich.free.fr/?p=905
Les situations de crise : http://froudounich.free.fr/?p=863
Il y a quelques temps, en parlant game design avec une amie, m’est venue cette métaphore à propos de la conception d’un jeu de rôle. Elle explique assez bien ce que je considère comme la base de ma méthode de création de jeux de rôle.
Mais en réalité, ça ne vaut que pour les jeux proposant des parties privées d’une trame narrative préparée à l’avance (ou « scénario »).
En effet, une partie jouée avec un scénario crée une tension par la teneur du scénario (découvertes, scènes conflictuelles etc. prévus à l’avance et conçus pour capter l’attention des joueurs), mais une partie sans scénario ne peut pas se reposer sur une telle charpente, notamment car la potentialité est ce qui fait son intérêt, donc on ne peut pas prévoir que tout ce qu’il va s’y passer sera « digne d’intérêt ».
Quelle que soit l’activité, il nous faut, pour entretenir notre motivation, un horizon, un élan (ou être poussé dans le dos) et un moyen d’action pour surmonter les difficultés.
Je propose d’imaginer la tension d’une partie, entre ça capacité à nous motiver et celle de s’enliser comme faire des ricochets sur l’eau.
1) La première chose, c’est qu’il faut qu’on atteigne un but pour les joueurs – et non les personnages – (équivalent à l’horizon) : la fin de la partie, aux sens d’aboutissement et de finalité. On peut imaginer le game design comme une tentative de traverser une rivière, la berge opposée est donc le résultat du but fixé. Si l’aboutissement est clair, on pourra prendre le chemin le plus court et le meilleur pour y arriver : est-ce qu’on joue pour résoudre une enquête ? Est-ce qu’on est là pour vaincre le mal ? Pour explorer les sentiments humains ? Pour explorer la beauté d’un monde ? Éviter les pièges du MJ ? Être le plus fin stratège ? Rêver ensemble ? Construire à plusieurs une histoire questionnant la moralité des rônin…
2) Ensuite, il faut préparer le coup d’envoi, (équivalent à l’élan) cela passe par définir le rôle des personnages (être un agent de police implique un type d’actions et de réactions de la part des personnages, être un vampire en implique d’autres et ne parlons pas d’être les serviteurs d’un terrible maître…), choisir un objectif, des motivations (qui peuvent puiser dans l’histoire des personnages), mais aussi un événement perturbateur.
Ces éléments peuvent être préparés par le MJ ou par les joueurs (ou être partagés).
Le coup d’envoi est le premier élan donné à la partie, il est déterminant pour le reste de la partie car il donne le ton. Le coup d’envoi doit laisser transparaître des possibilités de fin de partie, même si en réalité elle peut s’avérer très différente de ce que l’on avait envisagé ; un horizon bouché tend à ruiner l’implication.
3) Enfin, intéressons-nous aux rebonds (équivalent aux difficultés et au moyen d’action) : les moments où le galet lancé rebondit sur l’eau. Ce sont les moments où la partie prend des directions inattendues, où des défis, des révélations ou des situations relancent les enjeux.
Si le galet ne rebondit pas, il coule et la partie avec. J’ai assisté à un certain nombre de parties s’enlisant à tel point que les joueurs n’avaient plus aucune envie de poursuivre, il peut s’agir d’une impression de vacuité : « tout ce qu’on fait ne sert à rien », d’impuissance : « on ne peut rien faire » ou de manque de visibilité : « on ne sait pas ce qu’il faut faire/ce qu’on peut faire/ce qu’on doit faire ».
Les systèmes de résolution sont un des premiers moteurs à rebond. Ils permettent de résoudre des enjeux, d’en créer de nouveaux et d’influer sur les prochains enjeux (par exemple, si j’ai vidé ma jauge de points de magie, ça va me compliquer la vie pour les prochains combats).
Les révélations, les rencontres, les épreuves et les « bangs »1 sont les autres principaux moyens de faire « rebondir le galet ».
Il faudra que chaque élément du jeu composant les points 2 et 3 respecte le but choisi au point 1 : je ne mets pas de système de combat à l’épée si mon seul but est d’explorer les sentiments humains ; je ne mets pas de santé mentale façon Cthulhu si je veux de l’épique ; je ne vais pas choisir avant de commencer la partie que je suis psychanalyste si l’on va jouer un jeu purement guerrier ; je ne vais pas jouer une tortue ninja si l’on joue dans l’univers de starwars…
Quand vous créez un jeu, pensez votre game design de cette façon :
À première vue, ça peut paraître évident, sauf que les systèmes de résolution de nombreux jeux ne font pas rebondir le galet, ils ne font que le faire stationner dans l’attente de pouvoir avancer de nouveau. Il arrive souvent que la préparation d’une partie aménage un nombre phénoménal de choses (inutiles), sauf à lancer véritablement la partie, sans parler du fait qu’il est rare d’avoir un but du jeu clair et respecté au long de la partie.
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1« The Technique of introducing events into the game which make a thematically-significant or at least evocative choice necessary for a player. » Technique consistant à introduire des évènements dans le jeu qui imposent un choix nécessaire au joueur, qui fait sens en regard de la thématique du jeu, ou simplement évocateur.
Quand vous présentez votre jeu de rôle innovant à des rôlistes, il y a des termes ou expressions à éviter si vous ne voulez pas que vos interlocuteurs comprennent autre chose que ce que ces mots signifient vraiment.
Voici un petit glossaire des incompréhensions :
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aléatoire : simulation des probas du monde réel ;
-
amateur : mal foutu, qui ne possède pas assez de matériel, qui a pompé son système (voire plus) sur un jeu du commerce, dont les illustrations sont nazes et qui est bourré de fautes de français ;
-
artistique : jeu qui demande d’être un artiste pour y jouer, qui se prend la tête, qui a de jolies illustrations, jeu avec des dauphins dans un coucher de soleil ;
-
compétition : les joueurs se font des coups de pute ou ne jouent pas ensemble ;
-
conflit : disputes entre joueurs ;
-
contrat social : les techniques qu’utilisent les MJ et qui ne sont pas écrites dans le bouquin ou qui sont inconscientes ;
-
démarche créative : talent de l’auteur du bouquin ;
-
dirigisme : c’est pas bien, mais si on ne le fait pas, les joueurs ont trop de liberté, le système du conteur, narrativisme ;
-
drame : j’ai suffisamment de problèmes irl pour jouer à ça, mélodrame, soap ;
-
enjeu : baston ;
-
espace imaginé et partagé : ce qu’il se passe dans nos têtes pendant la partie ;
-
exploration : aventure ;
-
GNS : kezako ? Classification des joueurs, truc inutile et démodé ;
-
histoire : scénario, chasse gardée du MJ ;
-
illusionnisme : techniques du bon MJ qui ne se fait pas prendre ;
-
immersif : beaucoup de sens différents, mais souvent synonyme de « bien » ;
-
indie/indépendant : qui se la raconte, jeu incompréhensible, jeu bizarre, jeu amateur déguisé ;
-
jeu avec beaucoup de dés : à tous les coups, il va falloir faire beaucoup de calcul mental et les mécaniques vont être lourdingues ;
-
jeu qui offre des espaces de créativité/de narration aux joueurs : jeu pour excellents joueurs ou pour les enfants ;
-
jeu qui utilise un plateau ou tout matériel inhabituel : immédiatement associé au jeu de plateau, souvent qualifié de « pas du jeu de rôle » ou apparenté au ludisme ;
-
joueur : personnage, enfants rebelles à tenir pour éviter que la partie ne dégénère, spectateur ;
-
liberté des joueurs : ouvrir la cage aux fauves ;
-
ludiste : signifie grosbill, bourrin, optimisateur, pas roleplay, jeu pour décérébré ;
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méta-jeu : digressions ;
-
MJ : Dieu ;
-
narrativiste : jeu pas fun, jeu intello, Santa Barbara RPG, jeu pour femmes, jeu sans dé, jeu où le MJ raconte son histoire et les joueurs l’écoutent ;
-
objectif : mission ou survie ;
-
original : quitte ou double ;
-
pas d’enquête : que de la baston ;
-
pas ou peu de préparation : le MJ improvise tout, donc attention, il n’y a pas d’histoire construite, voire, pas d’histoire du tout, pas de contenu, jeu apéro ;
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pas de règles pour le combat : ben qu’est-ce qu’on y fait alors ?
-
personnage : joueur, forces de l’ordre, pions, spectateurs, victimes ;
-
réalisme : crédibilité, dogme, règles technicistes ;
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role play : ce qu’il faut faire ;
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sans dés : pas de fun, le MJ décide de tout ce qui est important ;
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sans MJ : on fait du roleplay en boucle, sans intrigue ni évolution dramaturgique de l’histoire et au bout d’un moment ça devient chiant, c’est pas du JDR ;
-
sans scénario : voir « pas ou peu de préparation » ;
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sans univers prédéfini : système générique, sans âme, du grand n’importe quoi ;
-
scenario : synonyme de partie ;
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simulationniste : avec des pages et des pages de règles et des tables et des calculs à n’en plus finir pour déterminer si on a sauté 3m ou 2m50, réaliste, le vrai JDR ;
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système : moment où on lance les dés, chapitre des règles dans le bouquin, ce n’est pas important, il faut modifier ce qui nous plaît pas, on peut jouer sans ;
-
théorie : discours verbeux, montrage de quéquette, enfonçage de portes ouvertes, masturbation intellectuelle ;
-
univers : synonyme de fiction et de jeu de rôle.
Je complèterai la liste si besoin.
Si vous voulez vous remettre les idées au clair, vous devriez faire un tour sur le Provisional Glossary (mais c’est en anglais).
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