From the monthly archives: février 2009

Je vous présente Alba, un PNJ du scénario que je propose dans Démiurges.

Je pense que toutes les illustrations du bouquin seront traitées de cette façon, il m’a fallu un peu de temps pour obtenir le style que j’avais en tête.

 

 

Illustration pour le JDR Imputrescibles

 

Comme ça commençait à  devenir un peu le souk ici, j’ai fait du ménage. Désormais, je posterai mes critiques et états d’âmes sur ce nouveau blog : http://carnetdefred.blogspot.com/

Comme ça, celui-ci ne contiendra que mes travaux d’art, d’illustration et de jeu de rôle, ainsi que les développements théoriques (je me demande d’ailleurs si ça aussi je ne devrais pas le mettre ailleurs).

 

Ceci est une ébauche d’article, le but est de déblayer le terrain en vue d’obtenir une base théorique solide.

Certains se demandent : « le jeu de rôle est-il un art ? »
Je répondrai que la question est mal posée, ce à quoi nous pouvons réfléchir, c’est : « peut-on faire de l’art avec le jeu de rôle ? »

Définir en quoi l’art et le jeu de rôle peuvent coexister est pour moi une ligne de travail, un champ de recherche et de questionnement et non la volonté de prouver quoi que ce soit, ni d’ériger le jeu de rôle à un rang culturel.
Certains s’y sont essayés avant moi et je dois dire que rien dans les articles de Mike Pohjola ni de Rotwang Knievel ne m’a paru creuser la question dans la direction qui lui convient, à savoir en regard de l’évolution au fil des siècles de la définition de l’art.

1- L’art au delà de la vision réductrice du médium
1.1- De quoi parlons-nous ?
– L’art est indissociable du monde sensible ; comprendre : ce qui nous est perceptible, ce que l’on peut appréhender par nos sens.
– L’art est une qualité immanente d’une production, d’un acte.
– L’art n’existe pas en dehors de la perception d’un public comme le proclame la fameuse phrase de Marcel Duchamp : « C’est le regardeur qui fait le tableau ».
– L’art est un questionnement produit dans une dimension formelle.
– Ainsi, je résumerai ces quatre points en une définition : L’art est la perception d’une problématique formelle produite dans le monde sensible.

On juge la qualité d’une oeuvre d’art par la cohérence de la proposition et de la démarche de l’artiste en tant qu’elles transparaissent de l’oeuvre, ainsi que dans l’authenticité et la pertinence de sa mise en oeuvre.
L’activité artistique est un processus créatif de manifestation de la perception humaine par un intermédiaire : un médium, qu’il soit sonore, pictural, narratif ou d’une autre nature. Paul Klee disait : « rendre visible l’invisible. »
Elle est l’expression d’un point de vue.

1.2- L’art en tant qu’activité humaine
L’activité artistique est dite autonome par opposition à l’hétéronomie de la plupart des activités humaines, ce qui signifie que l’art n’a de but qu’en lui-même.
Fabriquer une voiture pour gagner de l’argent est une activité hétéronome, de même que produire une vidéo pour vanter les mérites d’un shampooing.
Les demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso questionne les canons de la peinture du début du XXème siècle, c’est une production autonome.
Bien entendu, un artiste peut gagner de l’argent par sa pratique, mais la valeur de l’art est indépendante du coût de fabrication d’une oeuvre ou de son temps d’exécution. La valeur monétaire est un reflet de la valeur esthétique jugée par l’acquéreur.
Considérez bien que ces notions d’autonomie/hétéronomie se situent dans le champ « industriel » (qui relève de l’activité humaine) et non psychologique.
La différence entre autonomie et hétéronomie s’applique à la distinction entre l’art et l’art appliqué, ce dernier étant une démarche créative appliquée à une nécessité qui lui est étrangère (design automobile, publicité etc.).

1.3- Le jeu dans l’art
Le rapprochement entre art et jeu est plus que probant depuis les années soixante, avec des mouvements comme Fluxus, pour qui le processus de production artistique prévaut sur l’oeuvre figée. L’art s’insère dans le champ du « jeu avec le réel », dans les espaces inoccupés de l’activité humaine hétéronome, autrement dit, dans le « jeu » des rouages de la société. La plupart des actions et performances d’artistes comme celles de Joseph Beuys ou de Marina Abramovic relèvent d’un jeu qui produit du sens dans le contexte de sa mise en oeuvre.

2- L’activité ludique entre-t-elle dans le champ de l’autonomie ?
Le jeu, possède trois fonctionnalités reconnues : il permet d’apprendre, de se divertir et de sociabiliser.
Pour faire glisser ce champ d’activité dans celui de l’art, il faudrait le dépouiller de ses fonctionnalités pour le rendre autonome.
Tout jeu n’est pas nécessairement éducatif, bien que comme toute expérience, il produit une assimilation d’informations. Le tout est de ne pas rendre ce phénomène prioritaire.
De même pour l’aspect social du jeu, qui, bien que primordial ne me semble pas entraver son autonomie s’il n’est pas le but premier des participants.
Concernant le divertissement, cela pose davantage de problèmes, nous allons le voir.

2.1- Comment un jeu peut-il ne pas être divertissant ?
Cela n’est rendu possible que par deux moyens :
2.1.1- La richesse sémantique du mot « jeu », qui, comme nous l’avons déjà évoqué, peut signifier une activité de relative gratuité, comme une parenthèse avec le monde, un rapport aux choses, une mise à l’épreuve pouvant mener à des activités créatives telles que « jouer d’un instrument » (en anglais : « to play »), un espace indésirable entre les pièces d’une mécanique, une activité soumise à des règles acceptées par consensus (en anglais : « game ») etc.
Selon Roger Caillois, le jeu reflète la structure de l’ensemble des activités humaines, mais se crée dans une parenthèse où l’erreur, l’expérimentation et l’échec sont permis car leurs conséquences sont relatives. Ici se trouve un espace de production artistique par référence, car le jeu permet d’éprouver le monde.
2.1.2- L’apparition de jeux fictionnels et narratifs : le jeu de rôle et les jeux vidéo. En associant des structures ludiques à la production ou à l’exploration de fictions narratives, le jeu s’ouvre de nouvelles portes lui permettant de quitter le champ du ludique en intégrant de nouvelles potentialités.
Bien entendu, ce type de jeu existe depuis bien plus longtemps que Donjons & Dragons (Dave Arneson et Gary Gygax) : les surréalistes et le groupe DADA pratiquaient toutes sortes d’activités créatives et ludiques à dessein artistique, cependant la forme actuelle du jeu de rôle est définissable comme médium à part entière, ce qui n’est pas le cas de ses ancêtres.
2.2 – L’art et le divertissement peuvent-ils coexister dans une même oeuvre ?
2.2.1- L’étymologie du mot « divertissement » nous éclaire sur l’un des aspects fondamentaux des activités que l’acception englobe : Du latin divertere : détourner.
L’homme qui se divertit est l’homme qui fuit ses préoccupations existentielles et métaphysiques, qui cherche à se soustraire à sa misère quotidienne. Alors que l’art propose un questionnement, une problématique qui s’ancre dans le réel, le divertissement nous en détourne. Le spectacle de divertissement est la vitrine du système dominant (cf. Guy Debord, La société du spectacle).
Le spectaculaire, c’est une scène d’action de cinéma, des effets pyrotechniques, des effets sonores, des trucages bluffants. C’est le développement extrême du métier d’illusionniste.
« (L’artiste) s’il n’est pas dramaturge, il est publiciste. Le thaumaturge, c’est le publicitaire. » (Paul Virilio, Catherine Ikam, Louis Fléri, Portraits réel/virtuel (1999) Paris Audiovisuel, Maison Européenne de la photographie (Exposition présentée à la Maison Européenne de la photographie du 24 février au 30 mai 1999.p.11)
Car l’image devient fascinante, quand, inféodée à la technique elle se purge de tout sens, de toute aspérité pour confiner à une perfection lisse et ostensible dans le but d’émerveiller et d’impressionner.
Le spectaculaire est le feu d’artifice qui capte notre regard, nos pensées et les détourne de ce qui fait sens.
De par l’outil spectaculaire, le divertissement remplit son rôle et vide une oeuvre de ses problématiques potentielles, mais ce faisant, elle se soumet à l’idéologie dominante : la neutralité sémantique d’une oeuvre est aussitôt convertie en une apologie de son système de production du fait qu’elle a été produite par et pour lui.
2.2.2- Notons que dans un médium narratif comme la littérature, le cinéma ou le jeu de rôle, la distinction art/divertissement devient complexe, car problématique et spectacle peuvent s’alterner dans la durée.
Quelles sont les conséquences de la jonction au sein d’une même oeuvre du spectacle et d’une problématique ?
En premier lieu, nous observons que les moments de questionnement et de divertissement sont séparés.
2.2.3- Comparons : Matrix d’Andy et Larry Wachovski et Mulholland Drive de David Lynch.
D’une certaine façon, ces deux oeuvres cinématographiques possèdent des phases de questionnement et des phases plus distrayantes, où la narration sert une intrigue qui semble n’avoir d’autre but qu’elle même, sans problématique avérée. Nous découvrons ici une première différence : Matrix propose des scènes d’action pures et dures pouvant s’étirer considérablement dans la durée, voire constituer une partie plutôt conséquente de la totalité de la trilogie. Une intrigue est tissée sur les trois films. Par moment, les personnages abordent des questions métaphysiques en discutant ou en se confrontant à la métaphysique du monde présenté.
Mulholland Drive s’installe dans une intrigue plutôt classique, qui nous implique, mais qui se trouve soutenue par une impression de bizarrerie et par des scènes parfois crues. Cette partie du film en constitue la plus grande portion. De nombreuses questions sont posées dans l’histoire, mais la fin du film brouille les pistes, les identités semblent changées dans un imbroglio aux relents psychologiques ou existentiels.
Dans le premier film, des questions métaphysiques sont clairement posées, notamment : « la réalité est-elle bien ce que l’on croit ? » On pourrait donc déjà en extraire une problématique centrale.
Dans le deuxième, c’est la question de notre rapport au film, à l’intrigue et à notre part d’interprétation qui est prédominante. David Lynch nous laisse une grande part à l’interprétation de son oeuvre, qu’il ne veut surtout pas expliquer. Et c’est là que Mulholland drive se différencie de Matrix : l’oeuvre ne signifie pas, elle n’est pas un vecteur de communication d’une idée ou d’un questionnement, mais elle contient en elle, dans sa forme, du sens. C’est le principe de l’immanence.
2.2.4- Matrix ne nous demande pas d’aller chercher le questionnement mais nous le sert sur un plateau, au milieu de pâtisseries sucrées qui sont les scènes de pur divertissement dont la problématique disparaît au profit du spectacle. Qui a pensé en voyant les scènes d’action divertissantes de Matrix : « Mais c’est bien sûr ! C’est le spectacle qui constitue la matrice, qui nous empêche de voir la réalité et de se questionner sur elle. Arrêtons cette fuite schizoïde devant les productions de divertissement pour appréhender la vie et en faire ce que nous voulons vraiment qu’elle soit. » ?
Mulholland drive joue sur une frustration qui en soi est un questionnement sur ce que doit être une oeuvre cinématographique. Sa structure globale permet à David Lynch de mettre au coeur de son film une problématique forte centrée sur la place de l’intrigue et du spectateur. Il n’est pas le premier ni le dernier à aborder cette problématique.
Ainsi, le mélange de divertissement et de problématique tend à diluer le questionnement s’il ne le dissout pas purement et simplement.

2.3- Comment le jeu de rôle pourrait-il relever de l’art ?
Oubliez toute classification des soi-disant arts, qui ne sont que des jugements de valeur arbitraires ou idéologiques. L’art est potentiellement émergent de tout médium, de toute activité humaine, tel que nous l’ont appris les artistes des dernières décennies. Il n’y a aucune classification à faire entre la musique, les arts plastiques, le théâtre, les performances, la littérature, le cinéma ou la bande dessinée et les autres. Ce ne sont que des supports différents pour la création.
Un film, bien qu’étant une création, n’a pas l’assurance d’être artistique par le simple fait qu’il appartient au champ des productions cinématographiques. Selon le préhistorien de l’art Emmanuel Anati, la différence entre art et création se situe au niveau de la « vérification », soit la nature réflexive pouvant s’associer à la création. Vérifier, c’est situer son travail dans le champ artistique de son époque, le confronter à ce qui a été fait avant et cerner sa problématique.

2.3.1- Tout jeu de rôle est créatif.
– Voici la définition du jeu de rôle que j’emploierai afin de bien clarifier mon propos :
« Le jeu de rôle est une activité de groupe où chacun participe à la création d’une histoire, en effectuant des choix selon la situation de la fiction »
. Je ne m’intéresse donc volontairement pas au « jeu de rôle grandeur nature » ni aux jeux vidéos, je laisse ces champs de recherche à ceux qui veulent l’explorer.
– L’activité « jeu de rôle » n’est que ce qui se situe pendant la séance de jeu, d’exploration d’une fiction construite collectivement.
Les règles et le contenu pré-écrits ne sont qu’une préparation et un soutien à l’activité. Si un point de scénario ou de règle n’est pas exploré pendant la partie, il sera tout simplement inexistant.
Le texte des règles du jeu et de présentation de l’univers sont comme une partition de musique : la partition n’est pas la musique, mais elle joue un rôle essentiel sur la forme de l’oeuvre.
– Pour que cette oeuvre soit d’art, une problématique devra en émerger.
Mais pas n’importe comment :
Elle doit être immanente au médium et donc prendre racine dans la totalité de ce qui constitue la forme du jeu de rôle.
Elle doit être prédominante à tout autre but dans la partie, y compris se divertir.
Elle doit naître de la créativité des participants (et non seulement d’un MJ ou de l’auteur du livre de jeu).
Elle doit être partagée et perceptible, même si c’est à posteriori.

Tout ceci concerne le fait de continuer à pratiquer une activité qualifiable de jeu de rôle, que l’on fera art. Il est possible de faire de l’art autrement que de la façon dont je le développe, avec des activités plus ou moins proches du jeu de rôle, sans en être vraiment.
Il est important de comprendre que la teneur artistique d’une partie de jeu de rôle dépend des joueurs et de leur réceptivité aux stimulus du jeu et à l’émergence de la problématique.
Donc, un auteur peut tout mettre en oeuvre pour rendre artistique son jeu, le pouvoir de le concrétiser en revient aux joueurs.

2.3.2- L’expérience est le coeur du jeu de rôle
Le jeu de rôle ne peut être légitimé au regard d’autrui car c’est une activité qui ne peut être appréhendée par le néophyte. Elle ne peut être appréhendée que par l’expérience, tout comme je ne peux raconter un tableau à quelqu’un et espérer qu’il partage l’expérience que j’en ai eue.
Fréquemment, en tentant d’expliquer à des rôlistes dont la pratique du jeu de rôle est plutôt classique, en quoi consistent des formes de jeu de rôle innovantes, je me heurte à un mur d’incompréhension et de préjugés. C’est comme tenter d’expliquer ce qu’est le jazz à quelqu’un qui ne connaît que la musique classique, avec des mots pour seul outil.
De la même façon, un rôliste ayant toujours eu une expérience purement divertissante aura peut être des difficultés à appréhender la portée artistique de son activité. Cela ne signifie pas pour autant que rapporter une expérience n’ait pas d’intérêt, mais cela questionne sur la façon dont on peut le faire.

2.3.3- Propager vos oeuvres
Une partie de jeu de rôle est éphémère et son public restreint. C’est le cas de nombreuses musiques, pièces de théâtre, performances ou actions dans l’art contemporain. Si vous voulez entreprendre d’exposer votre séance de jeu dans une galerie, il faudra alors sans doute trouver un moyen d’en conserver une trace ou de répéter l’expérience. Mais ce n’est pas ce qui conditionne la portée artistique d’une activité, bien qu’elle fasse partie de sa reconnaissance par un public.
Cela est d’autant plus pertinent en jeu de rôle du fait que les participants sont à la fois auteurs et spectateurs de leur création collective. Le public est donc indissociable de cette activité créatrice. Ce n’est pas le nombre de spectateur qui fait la qualité ou l’existence d’une oeuvre d’art.
Maintenant, pensez-vous qu’un public extérieur à la séance de jeu, en simple spectateur pourra saisir la substance de la partie ?
Cette question me semble épineuse. Il en reste que les enregistrements de séances de jeu de rôle donnent souvent plus l’impression d’autistes qui s’agitent inutilement autour d’une table, que celle de créateurs en plein processus intellectuel collaboratif. C’est en cela que le moyen de conserver une trace doit être mûrement réfléchi. Je pense que la retranscription à l’écrit est sans doute le meilleur moyen d’approcher le résultat d’une partie pour la part imaginative que l’écrit laisse au lecteur, quand une vidéo ou un enregistrement sonore pèchent par la mise en évidence des hésitations, du manque de force inhérent à l’improvisation imaginative confrontée à des supports desquels on crée des oeuvres généralement extrêmement travaillées.
Il ne s’agit donc pas de présenter un compte-rendu de fiction voulant rivaliser avec un roman, mais bien de restituer l’expérience, avec tout ce que cela comporte de méta-jeu et de mécaniques.

3- La part de l’auteur
Bien que j’aie présenté le jeu de rôle comme étant ce qui se déroule durant une partie, cette partie prend elle-même racine dans la structure du jeu (game) conçu, lui, souvent par une personne étrangère au groupe qui va vivre l’expérience.
Pensez donc que bien que l’expérience de chaque groupe soit différente, un texte présentant un jeu dont l’ensemble des modules orientent les joueurs vers une certaine problématique est déjà en soit une grande part de la création rôlistico-artistique. C’est sans doute également le plus simple moyen de propagation – mais non le seul – d’une oeuvre rôlistique. Vous y faites une proposition que chacun s’approprie et c’est une force. On ne peut empêcher chaque spectateur de s’approprier une oeuvre, et c’est tant mieux, car c’est souvent l’interprétation et l’assimilation produites qui le touchent le plus.
« Je veux donner aux spectateurs une ébauche de scène. Si vous leur en dites trop, ils n’y apporteront rien d’eux-mêmes. Proposez-leur juste une suggestion, et vous les ferez travailler avec vous. C’est ce qui donne son sens au théâtre : quand il devient un acte social. » (Orson Welles 1938)
Dans une plus large mesure, c’est ce que vous ferez en créant un jeu de rôle. Vous avez les moyens d’orienter les parties de ceux qui expérimenteront votre proposition, proposez-leur des espaces délimités de création et orientez l’ensemble sur votre problématique, c’est ainsi que vous produirez des instants artistiques par ce vecteur.
Ce n’est pas la condition sine qua non pour faire de la séance de l’art, mais cela y contribue considérablement. Comme un compositeur peut écrire une partition très libre que les instrumentistes s’approprient et autour de laquelle ils improvisent. Il crée une structure, un cadre qui peut bien souvent devenir le coeur des parties et de la forme qu’elles revêtent. L’auteur de jeu de rôle est un compositeur.

3.1- Exemples de jeu de rôle à problématique
Dogs in the Vineyard (Vincent Baker) est un concept extrêmement subtil bâti autour d’une problématique forte que j’analyse ici avec mes propres mots : Quand la morale justifie-t-elle la violence ?
Sens Hexalogie (Romaric Briand) est structuré par de nombreuses problématiques, mais il me semble que la principale est tournée vers l’imbrication de la fiction dans la réalité.
My life with Master (Paul Czege) est une critique virulente sous forme de pseudo parodie, des jeux de rôles tels qu’ils sont couramment pratiqués : Un maître despotique qui martyrise ses servants. http://www.halfmeme.com/master.html
Psychodrame, une de mes tentatives de développer une problématique dans un jeu de rôle : quand le jeu de rôle nous confronte à notre propre existence, que devient l’enjeu réel ?

Si nous analysons un jeu tel que Dogs in the vineyard de Vincent Baker, nous vérifions que tous les niveaux de conception du jeu nous emmènent vers une direction précise où les situations entraînent des choix de la part des joueurs autour des questions de justice, de morale et de violence.
C’est ainsi que nous pouvons considérer que l’auteur d’un jeu de rôle peut considérer son travail comme étant artistique, dans le sens où il présente un matériau travaillé, dont la cohérence des choix influeront sur les parties jouées et sur la possibilité de l’émergence d’une problématique. L’auteur a donc une part potentielle, mais importante sur le résultat final.

4- L’esthétique en JDR :
L’esthétique se préoccupe de la relation complexe entre fond et forme en art. Au XXIème siècle et depuis plus d’un siècle, on en est arrivés à l’idée que le beau était subjectif. L’artiste cherche donc à faire une proposition esthétique depuis son propre point de vue. Il n’a pas vocation à l’universalité, bien que la portée artistique de son oeuvre puisse difficilement être contestée. Si tel est le cas, on entre dans les problématiques d’avant-gardes.
L’esthétique en jeu de rôle se situe à plusieurs niveaux, et pas seulement dans l’imagination dont a fait preuve l’auteur pour définir son univers :
Dans Sens Hexalogie, Romaric Briand met à jour l’importance de considérer que la conceptualisation d’un jeu de rôle est une modélisation d’une vision de l’homme et du monde. Ainsi, Sens est entièrement modélisé à partir des théories du philosophe Ludwig Wittgenstein, pour qui le langage est un miroir de la structure du monde.

Si l’art est immanence, cela nécessite une appropriation de la forme de vos créations, car c’est par une compréhension des enjeux formels que l’on peut en faire émerger une problématique.
Pour cela, je vous propose plusieurs pistes :
– La synesthésie.

– LNS & Big Model : Big Model (Wikipedia)
LNS et autres sujets de théorie rôliste (par Ron Edwards)
GNS theory (par Eero Tuovinen)
Théorie forgienne (par Ben Lehman)

– Le détournement ou le jeu avec le jeu : Martin Le Chevallier, jeux vidéo artistiques

***

Je vous propose de discuter plus avant de tout cela sur le forum de Limbic systems.

 

Voici le design de la couverture de Prosopopée.
Réalisée pendant une phase d’insomnie à  la cortizone…

Qu’est-ce que ça vous évoque ?

 

J’ai ajouté des fictions pour illustrer et améliorer la compréhension du jeu. J’ai également affiné son système à partir des enseignements tirés des rapports de partie.

Le jeu est désormais tout à fait opérationnel, je compte poursuivre les playtests afin de consolider les derniers détails.

Téléchargez Prosopopée

Creative Commons License
Prosopopée by Frédéric Sintes est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.

Voici quelques rapports de partie pour vous donner une idée de ce que le jeu permet de jouer :

Le hameau des livres

Du givre sous les racines

Aigrettes solaires

Bougies dans le vent

 

Histoire de poche est un mini JDR dans lequel j’ai condensé ce qui me semble primordial pour obtenir un jeu fonctionnel avec des moyens minimums.

Vous pouvez l’utiliser pour jouer une mini scène pour faire découvrir le JDR à  des néophytes, ou pour jouer pendant les trajets de voiture…

Voici la version bêta :
Téléchargez Histoires de poche

 

Je suis heureux de vous annoncer que Les Rats de Marée participent à une compilation de talents (connus et moins connus) chez Wagram.

Vous pouvez écouter ici trois de leurs chansons : http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=102125375

 

Ce billet est le quatrième d’une série, donc si vous ne voulez pas commencer par la fin, rendez vous au début.

Les antagonistes
Je suis généralement assez hostile aux concepts manichéens pour leur portée puérile et religieuse. Du coup, mettre un méchant dans une histoire, bon, ben ça arrive… Mais ce qui différencie le méchant de l’antagoniste, c’est que l’antagoniste n’est en principe ennemi que du ou des protagonistes. Du coup, on peut s’amuser avec un personnage plus moral que les PJ qui se retrouve contre eux, alors qu’ils pensent œuvrer du « bon côté ».
Les antagonistes peuvent bien sur être plusieurs, qu’ils soient ensemble ou pas, une organisation, une personne… L’antagoniste peut être simplement en concurrence avec le ou les protagonistes, il n’a pas d’antipathie à leur égard (au début), ou bien il peut être viscéralement antipathique envers le ou les protagonistes.

L’important, c’est de définir son but. Ça peut aller de « veut découvrir la pierre philosophale (avant les PJ) » à « veut tuer tel PJ pour se venger ». Ensuite, on se demande pourquoi et ça suffit généralement à établir quelques traits pour ce PNJ. Note : les PJ peuvent être ou devenir antagonistes les uns envers les autres. Dans ce cas, c’est souvent très intéressants de les laisser se crêper le chignon, me semble-t-il. Vous n’aurez peut être même plus besoin de scénario…

Un antagoniste peut se révéler par un conflit ou peut être fabriqué pour l’être. Il suffit pour cela d’utiliser les traits des PJ et d’utiliser des traits en conflit ou des antipathies. Nous ne nous attarderons pas sur ceux qui se révèlent antagonistes, s’ils n’apparaissent que peu de fois, afin de nous concentrer sur le concept de « grand méchant » revu et corrigé. =D

L’antagoniste doit-il être un pivot parmi les autres ou peut-il être « l’ennemi récurrent » ?

A priori, si vous créez un antagoniste relativement puissant, les PJ auront beaucoup de mal à obtenir ce qu’ils veulent de lui. Un antagoniste faible prend le risque de se faire miter la tronche allègrement et de servir davantage de souffre douleur s’il est récurrent, plutôt qu’autre chose. L’un des problèmes relatif au PNJ récurrent, c’est qu’il ne doit en aucun cas devenir protagoniste à la place des PJ. En effet, à priori chaque PJ est le protagoniste de son joueur, même s’il peut être l’antagoniste d’un autre PJ.

Un PNJ peut donc apparaître à plusieurs reprises, il peut même évoluer pour rester concurrentiel face aux PJ, mais il ne doit pas leur damer le pion quant à l’importance qu’il prend dans le récit. Si un tueur sanguinaire cherche à massacrer tout le monde et que les PJ ne parviennent jamais à l’arrêter, il sera fatalement un antagoniste récurrent. Mais il faut permettre dès le départ aux PJ de lui régler son compte, pour cela, évitez les longues intrigues avec plusieurs confrontations de prévues avec ce PNJ, sinon, vous empêcherez toujours les PJ de lui régler son compte, simplement parce qu’il revêt le costume du super méchant et que s’ils le marravent à la première rencontre, votre intrigue est foutue en l’air. S’il est suffisamment puissant et que vous menez ses conflits avec poigne, il devrait s’en sortir au départ, mais il ne faut pas compter là -dessus et ne pas envisager la façon dont doit se terminer une rencontre avec ce PNJ. Vous pouvez lui attribuer des traits de sauvetage, éventuellement avec par exemple des collègues, amis ou bras droit qui ne manqueront pas d’utiliser l’hélico de leur boss ou leurs pouvoirs pour venir le secourir… ^^

Donc, la première chose importante pour un antagoniste principal et récurrent, c’est de déterminer son but et ne pas prévoir d’issues à chaque scène, mais simplement des situations initiales problématiques dont il pourrait être l’instigateur.

Par exemple, vous avez décidé que c’est ce PNJ qui a tué le père de tel PJ, qui a détruit telle forêt, demeure de tel autre PJ et qui veut réinstaurer un état religieux alors qu’un dernier PJ est un grand défenseur de la laïcité…

Maintenant la grande question est comment faire en sorte que les PJ découvrent qu’il est le coupable ? Je tenterai d’y répondre à la fin de ce post…

Les antagonistes sont souvent le moteur dans bon nombre d’histoires. En effet, ils luttent contre les protagonistes et c’est cela qui les fait réagir. Souvent, en JDR, les PJ n’ont pas de buts tant qu’on ne menace pas leur propre vie ou qu’on ne leur donne pas une mission… A part sauver les chats dans les arbres ou aider les mamies à traverser la route, les super héros n’ont généralement pas grand-chose à glandouiller. Les super méchants, incarnations de Satan (étymologiquement l’adversaire) sont là pour leur donner du super boulot. Dans ces mondes là , s’il n’y avait pas de méchants, il n’y aurait ni accidents, ni famines, ni crimes, ni délits…

Dans certains cas ça peut être pratique. Dans Harry Potter ou dans le Seigneur des anneaux, pour ne citer qu’eux, sans Voldemort, Saroumane, Sauron etc. les personnages apprendraient gentiment leurs sorts, couperaient des arbres et partiraient à la chasse entre amis…
Donc dans Harry Potter JDR, on peut imaginer qu’un mage noir voudrait pénétrer dans Poudlard pour y récupérer un objet rare et puissant (bon, je sais, je ne fais pas dans l’innovant).

Bon, j’exagère un peu, car le principal dans les bouquins de J.K.Rowling, ce sont les mésaventures scolaires de Harry, comment sa célébrité lui joue des tours, comment les injustices que lui inflige son prof de potions lui donnent la rage, comment il viole le règlement pour pouvoir bénéficier d’une sortie scolaire etc.

Généralement l’antagoniste met un plan en œuvre. En effet, rares sont les histoires o๠le protagoniste ne subit pas et ne fait pas que réagir. Mais ça existe, les histoires dans lesquelles un protagoniste va tout faire pour obtenir quelque chose et va se heurter à des petits problèmes !
Vous pouvez donc définir ce plan. Puis vous avez deux options : soit préparer la façon dont les PJ vont découvrir ce plan (du coup, vous pouvez utiliser le principe des clefs et des portes), soit vous improvisez à partir du but du PNJ et des occasions données par les situations initiales et les PJ. (à vous de me dire ce qui fonctionne le mieux, vu que pour ma part, j’ai presque tout le temps préparé les indices de façon précise, jusqu’à maintenant). Dans le premier cas, les pistes permettant aux PJ de savoir ce qu’il se trame peuvent être considérées comme des clefs. Dans le deuxième, il faut exploiter les situations initiales problématiques pour permettre aux PJ de savoir ce qu’il se trame et leur permettre des affrontements.

– L’antagoniste met un plan en œuvre :
1- Le protagoniste ne le sait pas et doit réagir pour ne pas laisser l’antagoniste réussir et subir ses desseins.
2- Le protagoniste le découvre et peut tenter de le prendre à son propre piège. Certaines histoires fonctionnent sur ce mode (Innocence, de Mamoru Oshii, par exemple)

– L’antagoniste agit en fonction de son but (sans d’indices préconçus) :
1- Le protagoniste découvrira des indices rapidement (reveal actively), et un conflit avec l’antagoniste devra ensuite favoriser l’un ou l’autre des deux partis en guise de développement principal.

Les parties « illusionnistes » ou « participationnistes » permettent rarement d’offrir la liberté aux joueurs d’élaborer un plan, sauf si on prévoit à l’avance ce qu’ils devraient faire… Les parties « esprit pionnier » peuvent le permettre mais comptent sur la vivacité d’esprit des joueurs pour deviner au plus vite ce qu’il se passe et être plus malins que le PNJ.

Je pense qu’une formule qui conviendrait relativement bien au « Jeu de basse », ce serait de lier les situations problématiques à un antagoniste, ou à une société secrète ou ce que vous voulez. Les embûches que vont rencontrer les PJ seront causées par des PNJ qui sont liés à cet « antagoniste final » ou « boss » ^^. Les clefs données (reveal actively) ou gagnées (par conflit) pourraient également converger vers cet antagoniste.
Enfin, le but de l’antagoniste doit s’insérer dans le but des PJ. Si les PJ veulent sauver le monde, l’antagoniste veut le soumettre ou le détruire, si les PJ veulent arrêter la guerre, l’antagoniste voudra semer le chaos et mettre le monde à feu et à sang… bon, ce sont des exemples limite caricaturaux, mais ils illustrent bien l’idée.

Pour la partie d’Harry Potter dont j’ai fait le compte-rendu, mon scénario se résumait à :
– Un élève lance un sortilège de contrôle sur un autre élève somnambule, afin de voler dans les dortoirs de nuit.
– Quelques victimes : 1 a perdu son furet, 1 son balais magique etc. jusqu’à ce qu’un PJ se fasse voler à son tour.
– Le somnambule possède un pyjama grenouillère nounours en peluche (comme Lain) il pourra laisser de traces sur les lieux du crime.

Et voilà , j’ai laissé les joueurs décider de ce qu’ils allaient faire, ils ont rencontré un PNJ qui cherchait son furet, puis j’ai mis en scène une dispute entre élèves, à la suite de quoi ils ont découvert un autre vol (sans rapport avec leur succès au conflit, simplement, j’ai décidé qu’à l’issue de chaque conflit, ils découvriraient un indice, quelle qu’en soit l’issue), puis l’un des PJ se fait voler un objet cher. Et là , ils ont tout pris en main, ils ont interrogé des élèves, ils ont guetté dans les couloirs, ils ont découvert le somnambule, puis celui qui le contrôlait et un grand conflit s’est engagé (assez palpitant). C’était très cool !

Bon, ceci reste une base, on doit pouvoir la détourner de maintes façons. Et surtout, ce dernier point est facultatif. Vous n’êtes pas tenus de mettre un antagoniste principal dans votre scénario et chaque situation problématique peut donner son lot de PNJ antagonistes. Néanmoins, l’avantage de l’antagoniste (qui peut aussi bien être une personne, qu’une maladie qui se propage, une divinité etc.) c’est qu’il fait office de liant sur l’ensemble d’un scénario.
La question que je me pose est la suivante : cette idée de placer un « ennemi » ne force-t-elle pas l’engagement du personnage et du joueur et ne déroge-t-elle pas à la théorie de l’engagement ? Si on poursuit une crapule, c’est comme si on était payé pour suivre un scénar (le personnage en tout cas), ça justifie tout sans effort. C’est pourquoi les meilleurs antagonistes sont les antagonistes controversés. Et enfin, je vous dirais qu’il est cohérent de mettre un antagoniste récurrent quand les PJ ou le jeu lui-même s’y prêtent.

Un personnage attaché à son chien peut avoir des problèmes avec la SPA parce que des voisins entendent le chien pleurer, croient qu’il est maltraité… Il y a plusieurs antagonistes temporaires, mais pas nécessairement de « grand méchant ». Les voisins croient bien faire et les membres de la SPA font leur boulot…

Autre exemple : un PNJ très cruel, aimant manipuler les gens et les faire souffrir, si l’on se rend compte que c’est à cause de l’un des PJ qu’il est comme ça, ça peut être cool. Si les PJ n’arrivent pas à contrer ses arguments liés à ses considérations sur l’humanité, il a beau être abominable, que fait-on contre quelqu’un d’abominable qui a raison ?

Plus un ennemi est controversé, plus il fait poser des situations avec des problématiques du genre de ce que j’ai décrit plus haut, plus il sera question de choix, de sacrifices, plutôt que de victoire et de défaite.